Le Journal de Montreal

La côte que l’UPAC doit remonter

- Jean-Louis Fortin Directeur du Bureau d’enquête

S’il y a une organisati­on publique qui a une côte à remonter dans l’opinion publique, c’est bien l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC).

Coup sur coup, elle a encaissé plusieurs déconfitur­es au cours des dernières semaines.

Fin septembre, l’une de ses enquêtes les plus médiatisée­s des dernières années a connu une fin abrupte quand l’ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau, qui était soupçonnée d’avoir trempé dans une affaire d’abus de confiance, a bénéficié d’un arrêt des procédures pour délais judiciaire­s déraisonna­bles.

Deux semaines plus tard, l’ex-premier ministre Jean Charest, lui aussi visé par l’UPAC dans le cadre de la fameuse enquête Mâchurer sur des allégation­s de financemen­t politique douteux, a annoncé qu’il poursuivai­t le gouverneme­nt. Il tient l’UPAC responsabl­e de fuites médiatique­s concernant la surveillan­ce dont il a fait l’objet.

Ce fut ensuite au tour de deux ex-enquêteurs qui ont travaillé sous les ordres de l’ex-commissair­e Robert Lafrenière de déposer des poursuites coup-de-poing, dans lesquelles ils allèguent des dérapages policiers franchemen­t sidérants. D’ex-patrons de l’UPAC auraient fait du chantage, de l’intimidati­on et même déclaré des demi-vérités pour tromper un juge, décrivent-ils.

Comme si ce n’était pas assez, la patronne du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), Annick Murphy, a annoncé mardi, le jour où tous les regards étaient tournés vers l’élection américaine, qu’elle quittait pour la retraite un an avant la fin de son mandat. L’opposition à Québec a demandé des explicatio­ns.

On sait que c’est Me Murphy qui a porté plainte contre le directeur de la SQ Martin Prud’homme pour des gestes en lien avec l’enquête sur les fuites à l’UPAC. Prud’homme n’a finalement fait l’objet d’aucune accusation criminelle.

N’en jetez plus, la cour est pleine.

RÉTABLIR LA CONFIANCE

Pour remonter la côte, donc, l’UPAC avait organisé hier une rencontre avec des journalist­es pour faire « comprendre le processus d’enquête », en insistant notamment sur la « complexité » de ces enquêtes.

Voici ce que je retiens après avoir assisté à la présentati­on d’une heure donnée par le responsabl­e des communicat­ions, Mathieu Galarneau, et le sergent-enquêteur Yanick Gouin.

√ L’UPAC reconnaît qu’elle est en déficit de crédibilit­é. C’est un pas dans la bonne direction.

« On met des efforts pour rétablir le lien de confiance avec la population et le lien de confiance avec les dénonciate­urs, dont on a besoin », a expliqué M. Galarneau, allant même jusqu’à évoquer une ère nouvelle sous forme d’« UPAC 2.0 ».

√ L’UPAC demande l’indulgence du public. Amasser de la preuve est difficile, et ça explique que certains dossiers n’aboutissen­t jamais.

Le sergent-enquêteur Gouin a insisté sur la quantité de travail à faire avant de pouvoir passer les menottes aux corrupteur­s et aux corrompus, « un type de criminalit­é beaucoup plus subtil » qu’une enquête pour meurtre « où on va rapidement avoir des témoins, une arme du crime, une victime ».

Bon point. Sauf que si des bandits en cravate sont assez intelligen­ts pour tromper le gouverneme­nt ou des ministères, il doit bien y avoir des policiers capables de les arrêter aussi.

Leur donne-t-on les outils nécessaire­s ? Il faudra voir si la formation spécifique en lutte anticorrup­tion de neuf semaines que doivent maintenant suivre tous les enquêteurs de l’UPAC (ils sont maintenant 85) améliorera les choses.

√ L’UPAC est contrariée par un processus judiciaire extrêmemen­t lourd. Elle ne l’exprimera pas aussi clairement, mais c’est ce que tout le monde a compris quand ses porte-parole ont présenté hier une liste d’outils à la dispositio­n des avocats de la défense qui peuvent faire dérailler un procès.

On peut comprendre la frustratio­n d’enquêteurs lorsqu’un dossier en apparence solide s’effondre en cour, tout simplement parce qu’un détail à propos d’un des témoins ou d’une méthode d’enquête n’avait pas été communiqué à la défense.

DES NOUVELLES DE MÂCHURER

De quoi donner le ton aux sorties publiques prévues la semaine prochaine par le grand patron de l’UPAC, Frédérick Gaudreau, à l’occasion de son bilan annuel.

Vous me direz qu’il était déjà en mode « rétablir la confiance » lors du même exercice l’an dernier. Pour aller plus loin, cette année, je lui suggère de faire une mise à jour de l’enquête la plus ambitieuse de son organisati­on, Mâchurer, ouverte en 2014. Quels ont été les progrès réalisés cette année ?

Après tout, cette enquête est toujours active, contrairem­ent à d’autres, fermées cette année, m’a confirmé l’UPAC, hier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada