Richard Desjardins dénonce le « bunker » du ministère des Forêts
NDLR : Dans le cadre de son initiative « Faites la différence », qui vise à faire rayonner des lettres d’opinion provenant d’une multitude d’acteurs de la société, Le Journal publie aujourd’hui et demain un texte en deux parties, écrit par Richard Desjardins et Henri Jacob, de l’Action boréale. Alors que Québec se prépare à renouveler le régime forestier, les signataires dénoncent la gestion actuelle de la forêt québécoise.
Jamais le ministère responsable de nos forêts n’aura connu aussi bon ministre que celui actuellement en poste : Pierre Dufour.
En tout cas, c’est sûrement l’avis de ses hauts fonctionnaires ramassés dans un bunker de la 4e Avenue Ouest, à Québec.
Là, ils sont une vingtaine de technocrates à gérer notre patrimoine forestier. On ne les connaît pas et d’ailleurs, ils n’aiment pas trop se montrer. On peut comprendre. Quand on a comme mandat « d’aménager de façon durable les forêts afin de maintenir ou d’améliorer la santé à long terme des écosystèmes forestiers », et qu’on fait systématiquement le contraire sur le terrain, ben, l’image publique qui en découle, on préfère laisser le ministre la défendre. Ainsi que la gestion d’un recours collectif pour détournement de mandat que le ministère aura éventuellement à affronter.
Pierre Dufour. Lui, il est parfait. Parfaitement ignorant de la chose forestière – il n’a jamais oeuvré dans ce domaine complexe –, il répète simplement ce que son bunker lui dit de dire. Et quand les messages n’arriveront plus à passer, ben, on le jettera. Alors qu’eux, les technocrates, ils resteront là jusqu’à leur retraite dodue.
INVESTIS D’UNE MISSION
Ces hauts fonctionnaires de la forêt se sentent investis d’une mission. Une seule. Et centenaire : fournir aux compagnies forestières tout le bois dont leurs usines ont besoin, au moindre coût possible, quitte à les subventionner à coups de 500 millions de dollars par année. Ces compagnies sont capitalistes quand il s’agit de distribuer des profits à leurs actionnaires et socialistes quand il s’agit de téter le gouvernement pour éponger, par toutes sortes de programmes complaisants, leurs pertes.
Mais parfois, ça peut s’avérer difficile pour le bunker. Surtout depuis une quinzaine d’années, en fait. Depuis qu’une commission d’enquête publique a établi en 2004 qu’on coupait trop et mal, qu’on ne produisait que du bas de gamme – essentiellement du papier et du 2 x4 –, que les instruments de calculs forestiers s’avéraient déficients, que les plantations étaient loin de donner les résultats escomptés – ce qui est toujours le cas – et qu’il ne restait pas plus de 14 % de forêts naturelles dans le pays. Le patron de la multinationale Tembec, Frank Dottori, décrivit la situation à sa manière : « Le gouvernement inclut tous les arbres dans le calcul forestier, même ceux qui sont trop petits pour être coupés. Alors, les sociétés forestières ont coupé ces arbres avec la permission du gouvernement, hypothéquant ainsi la capacité de renouvellement de la forêt. »
Un nouveau régime forestier se devait donc d’être mis en place, qui conditionnerait l’attribution de la ressource à la capacité de la nature à se renouveler.
Et non plus en fonction de la capacité des usines à la traiter. Cette nouvelle gestion porterait le nom « d’écosystémique ». Un néologisme à l’époque.
L’opinion publique approuva largement ce changement d’orientation. Dans le bunker des hauts fonctionnaires, cependant, la consternation est totale ! Ils apprennent qu’une forêt n’est pas qu’un réservoir de mètres cubes de bois à dispenser aux compagnies. Or, malheureusement, c’est l’unique vision qu’ils en ont. Ils se sentent alors pas mal perdus. Mais tout de même disposés à résister car, après tout, atteindre la retraite dodue, c’est surtout ça, leur objectif.
UNE GRAVE ERREUR
Ce fut une grave erreur que d’avoir maintenu en place cette équipe dépassée, obsolète. Il aurait fallu y substituer un collectif formé pour les exigences de la nouvelle gestion.
Des écoforestiers, des experts en troisième et quatrième transformation du bois, des aménagistes conscients et convaincus que notre forêt publique appartient à tout le monde, y compris aux Autochtones, y compris à nos enfants déjà là et à venir. Y compris à la faune. Il aurait fallu aussi des économistes qui établiraient les plans pour la rentabiliser une première fois, notre forêt. L’une des plus belles du monde.
Le regretté ministre Claude Béchard a bien tenté d’amorcer un virage en ce sens, il y a une dizaine d’années, en transférant le contrôle de l’aménagement des forêts au gouvernement, depuis toujours sous l’emprise de l’industrie.
On vit aussi poindre des tables de concertation régionales où les autres utilisateurs de la forêt pouvaient enfin poser leurs petites questions.
Mais la réforme s’est arrêtée là, net fret sec. Il y a sept ans.
Bien sûr, le bunker s’y était résigné à son corps défendant, à cette réforme, mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre son travail de sape. Il continue de délivrer des permis de coupes à blanc jusque dans les réserves fauniques où, par désignation même, la faune est censée être priorisée. Il continue de bloquer et de saboter autant qu’il peut le développement du réseau des aires protégées. Il condamne à l’extinction le caribou forestier pour livrer son territoire à la prédation forestière. (Avec une relative facilité d’ailleurs, son bunker hébergeant le département de la faune. Ses employés doivent donc se contenter d’encadrer les tueries annuelles d’animaux sauvages et de fermer leur gueule. En passant, le ministre n’a-t-il pas déclaré que la chasse est un droit « fondamental » ?
Au même titre que d’avoir un toit et de quoi nourrir sa famille ? Mais où a-t-il trouvé une quelconque promulgation de ce droit, hormis dans son imagination ?)
750 ABATTEUSES
Après, le bunker se demande pourquoi la méfiance du public envers la gestion forestière ne se dissipe pas avec le temps. C’est pourquoi, en 2017, le gouvernement s’est associé au Conseil de l’industrie forestière pour financer moitié-moitié (4 millions $) une campagne de pub visant à « redorer leur image ». Mais pendant que le bon peuple admire cette belle production sur le web, à la télé, dans les journaux, où on peut admirer des techniciens et des techniciennes sexy en casques blancs flambant neufs simuler une parfaite foresterie,
750 abatteuses continuent de ravager notre forêt jour et nuit, rasant chaque année une superficie équivalente à six fois l’île de Montréal. Et quel que soit le régime forestier en vigueur.