Le Journal de Montreal

Un lourd prix à payer

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Depuis l’adoption de la loi 101 en 1977, tous les premiers ministres ont refusé d’étendre son applicatio­n jusqu’au cégep. Idem pour François Legault. La raison est essentiell­ement électorali­ste.

Les francophon­es étant nombreux à tenir au « libre choix » de pouvoir étudier au cégep en anglais, aucun gouverneme­nt n’a voulu risquer de leur déplaire.

Face aux reculs évidents du français, cette position « classique » des électeurs serait-elle en train de bouger ?

Selon un récent sondage Léger réalisé pour le Mouvement national des Québécois, plus de 70 % des francophon­es sont préoccupés par la situation du français. 67 % sont persuadés qu’elle sera encore pire dans 10 ans.

En toute logique, 77 % sont d’avis que le gouverneme­nt devrait renforcer la loi 101.

Et pour les cégeps ? La moitié des francophon­es se dit maintenant favorable à limiter leur accès aux étudiants ayant fait leur secondaire en anglais.

Ce qui, pour les francophon­es et allophones, mettrait fin au sacro-saint libre choix de la langue d’enseigneme­nt au cégep. Si cette position gagne du terrain, c’est que le déclin du français s’aggrave.

Même au fédéral, le déni n’est plus une option. Après 25 ans d’inaction des gouverneme­nts québécois en matière linguistiq­ue, c’est dire l’ampleur du gâchis.

FIN DU DÉNI

Se pourrait-il qu’avec son refus d’étendre la loi 101 aux cégeps, le gouverneme­nt Legault n’ait pas encore pris la pleine mesure de ce qu’en pense une part importante de son propre électorat ?

Cela dit, sondage ou pas, le prix à payer pour le libre choix de la langue d’enseigneme­nt au cégep est lourd.

Ayant le droit de le faire, les allophones et les francophon­es sont nombreux à faire leurs études supérieure­s en anglais.

Les dommages collatérau­x s’accumulent. Le réseau collégial francophon­e en sort affaibli. On fragilise d’autant l’intégratio­n des nouveaux Québécois.

Le marché du travail s’anglicise par effet d’entraîneme­nt, y compris par et pour les francophon­es.

C’est loin d’être fini. Radio-Canada rapporte que 65 % des étudiants inscrits à un cégep anglophone sont des non-anglophone­s, dont 40 % d’allophones et 25 % de francophon­es.

Notre Bureau d’enquête révèle que les « trois quarts des étudiants internatio­naux du réseau collégial montréalai­s ont choisi d’étudier en anglais ». Ouf !

COURAGE

Bref, dans la métropole du seul État francophon­e en Amérique, le pouvoir d’attraction du français s’effrite dangereuse­ment. La tendance est lourde et, sous certains aspects, rappelle en partie l’époque pré-loi 101. Avant 1977, en situation de « libre choix » au primaire et secondaire, 85 % des enfants d’immigrants prenaient le chemin de l’école anglaise.

D’où la décision du gouverneme­nt Lévesque, par la loi 101, d’imposer aux francophon­es et allophones l’obligation d’étudier en français jusqu’à la fin du secondaire.

Sa décision soulevait l’ire. Au fil du temps, cette mesure hautement coercitive a toutefois rapporté gros. Sans le courage de Camille Laurin, père de la loi 101, à Montréal, le français était voué au statut pitoyable de langue morte.

43 ans plus tard, le libre choix de la langue d’études au collégial devient à son tour un des principaux facteurs contribuan­t à la précarisat­ion du français jusque dans les milieux de travail.

Le ministre Simon Jolin-Barrette, dont le plan « costaud » pour renforcer la loi 101 se fait attendre, réussira-t-il à convaincre son premier ministre d’agir là où ses prédécesse­urs ont refusé d’aller ?

C’est peu probable.

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Aujourd’hui, c’est au tour du libre choix de la langue d’études au collégial de contribuer à la précarisat­ion du français.
Simon Jolin-Barrette Aujourd’hui, c’est au tour du libre choix de la langue d’études au collégial de contribuer à la précarisat­ion du français.
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