Le bien-fondé des croches
En lisant le dossier du Journal sur les 38 élus municipaux qui ne passent pas le test de l’éthique depuis la publication du rapport de la commission Charbonneau, j’avais une certitude en tête : la plupart d’entre eux doivent être absolument convaincus de n’avoir rien fait de mal.
Consolons-nous d’abord : 38 personnes condamnées ou sous enquête sur près de 10 000 élus municipaux, ce sont des poussières. Encore que l’on sait bien que ce ne sont pas tous les comportements répréhensibles qui sont rapportés aux autorités puis mis sous enquête. Il y a une crise de confiance envers les institutions et ça n’incite pas les citoyens à faire des plaintes.
N’empêche que j’ai côtoyé assez d’élus de différents partis à tous les niveaux pour savoir que celui qui manque à l’éthique arrive toujours à se trouver une justification morale pour l’avoir fait, quand il n’estime pas carrément qu’il agissait dans son bien-fondé.
Ainsi les entendra-t-on sortir plein de phrases toutes faites pour se justifier. « En donnant le contrat à ma compagnie, je faisais sauver de l’argent à la municipalité ! »
« Au prix que je suis payé pour toutes les heures que je fais, c’est pas un petit souper au restaurant dans le compte de dépenses qui était exagéré ! » « Si le monde pense que je me suis fait acheter par un cadeau, ils me connaissent mal ! » « Si j’ai contourné des règles, c’était juste pour aider mes citoyens plus vite ! »
Vous les feriez passer au détecteur de mensonges et ils réussiraient tous le test haut la main, tout simplement parce qu’il y a des gens qui sont intimement convaincus que c’est légitime d’abuser, des fois, et que les règles servent juste à compliquer les affaires.
FORMATION, RÉMUNÉRATION
Ça tient d’abord d’une mauvaise compréhension de la notion de conflit d’intérêts. On les résume souvent à une question d’apparence, comme si les encadrer ne servait qu’à acheter la paix avec des médias qui voient de la corruption partout. Or, l’idée de ce concept, c’est que quand notre intérêt personnel se confond souvent avec celui de la collectivité, quand ils entrent en conflit, ça trouble le jugement. Ce n’est pas trop long qu’on peut se dire que ce qui nous sert est bon pour la ville également.
C’est évident qu’il faut améliorer la formation éthique des élus, que les unions municipales prodiguent présentement de manière inégale, quand ce ne sont pas des bureaux d’avocats qui les offrent aux municipalités contre généreuses rétributions. Pour que les maires et les conseillers municipaux évitent de se placer dans un conflit d’intérêts, il faut d’abord qu’ils sachent ce que c’est.
On me pardonnera mon cynisme, mais alors que tant de postes sur les conseils municipaux restent vacants ou sont comblés par acclamation lors des élections, il ne faut pas se faire croire non plus qu’il n’y a que des lumières qui s’y accrochent. Paradoxalement, pour avoir moins d’élus croches, il faudrait peut-être d’abord mieux les payer. Ça attirerait plus de monde de qualité.
Et, non, la rémunération ne devrait pas être fixée qu’en fonction de la taille des villes. Plus une municipalité est petite, moins elle sera surveillée par les médias et plus elle peinera à attirer des volontaires. C’est comme ça qu’on se retrouve parfois avec n’importe qui sur les conseils.
LA SURVEILLANCE
N’empêche que la tâche d’élu municipal est exigeante et difficile. Ce n’est pas toujours reposant de se faire parler de problèmes de vidanges en faisant son épicerie. Pour les élus ayant été trouvés coupables d’avoir contrevenu à l’éthique, leur sanction apparaîtra comme un affront s’ajoutant à leur si précieux dévouement, qu’ils roteront comme du vieux sûr une fois avoir été suspendus, démis ou battus. « La politique, c’est sale ! » « Je voulais juste aider ma ville, puis je me suis fait traîner dans la boue ! » « Le monde est rendu tellement chiâleux, les médias sont tellement senteux, dès qu’il y a fil dépasse, on se fait taper dessus ! »
C’est pour ça que, la formation, le salaire, le travail médiatique, ce n’est pas tout. Il faut des garde-fous.
Devant la commission Charbonneau à l’époque, le président de la Commission municipale avait eu l’air fou en expliquant que son organisme n’avait aucun pouvoir d’initiative pour enquêter et peu de pouvoir pour sanctionner.
On veut renforcer son autorité et c’est bien. Il y a l’UPAC qui se cherche encore, près d’une décennie après sa création. Comme d’autres institutions de surveillance, il faut resserrer sa gestion et la rapprocher des citoyens en procurant des résultats.
À la fin, toutefois, la propension des humains étant d’être toujours plutôt indulgents avec eux-mêmes, on peut penser qu’il y aura des abus tant que les élus ne sentiront pas qu’ils sont surveillés.
Et la meilleure surveillance sera toujours celle qui vient des citoyens qui s’occupent de leurs affaires, qui vont assister au conseil municipal et qui se portent eux-mêmes candidats.