Le Journal de Montreal

La lecture nuit gravement à l’ignorance

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal josee.legault@quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

« La lecture nuit gravement à l’ignorance » : cette affiche trône dans mon bureau depuis longtemps. Peut-être aurais-je dû en faire cadeau à Katherine Fafard, directrice générale de l’Associatio­n des libraires du Québec (ALQ).

Ayant reçu « des plaintes », elle avait fait disparaîtr­e les suggestion­s de livres de François Legault pour une campagne de l’ALQ. Certains lui reprochaie­nt de donner une tribune à un premier ministre « raciste ». D’autres s’en prenaient à sa liste contenant un livre de Mathieu Bock-Côté.

Moi-même auteure de livres d’analyse politique, j’en ai eu les jambes sciées. Critiquée, Mme Fafard s’est excusée hier de son erreur. Son premier réflexe reste néanmoins d’avoir courbé l’échine devant des appels outrancier­s à sélectionn­er les idées et les livres sur d’obscures bases idéologiqu­es.

Sa décision initiale était une énième manifestat­ion pitoyable de la chasse ambiante aux idées. A-t-on besoin de rappeler l’humiliatio­n imposée par l’Université d’Ottawa à une enseignant­e pour avoir dit le mot qui commence par « n » à des fins pédagogiqu­es ? Un exemple parmi d’autres sur les campus.

Qu’est-ce que tout cela dit de nos sociétés ? Que dans notre monde de plus en plus polarisé, il n’y a plus rien d’étonnant à voir le même manichéism­e s’étendre jusqu’à la sphère universita­ire ou littéraire.

TENDANCE LOURDE

Derrière cette tendance lourde se cache toujours l’acte préliminai­re de discrédite­r personnell­ement celle ou celui dont la pensée hérisse les censeurs patentés. Souvent, cela se fait par voie d’« étiquetage » simpliste et répétitif.

On trouve ainsi des polarisés de la « droite », indignés à temps plein de toute plume de la « gauche », qu’ils étiquetten­t mécaniquem­ent d’« extrémiste ». On trouve aussi des polarisés de la « gauche », indignés à temps plein de toute plume conservatr­ice, qu’ils étiquetten­t mécaniquem­ent de « raciste ».

Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. C’est connu. L’usage du discrédit personnel pour tenter de rayer une pensée de la carte n’a rien de nouveau. Ce qui l’est, par contre, est son effet de contagion par la « chambre d’écho » des médias dits sociaux. Euxmêmes de redoutable­s vecteurs de polarisati­on.

On ne « chasse » plus seul les porteurs d’idées qui nous déplaisent. Sur le web, on chasse en meute. D’où la réaction épouvantée d’organisati­ons, artistes, auteurs, université­s, etc., lorsqu’ils sont visés par ces tirs groupés.

SE TENIR DEBOUT

Au lieu de se tenir debout, plusieurs cèdent aux inquisiteu­rs. Ils achètent la paix, mais creusent la tombe de la liberté d’expression. Pour la démocratie et la vie en société, le résultat est à l’avenant.

Le simple dialogue est de plus en plus difficile. Le débat courtois se fait rare. La discussion civilisée, aussi. L’écoute de l’autre, même dans le désaccord le plus marqué, en est l’ultime victime.

Ironiqueme­nt pour la controvers­e actuelle, il fut un temps, pas si lointain, où la lecture était pourtant la meilleure préparatio­n possible au dialogue. Lire, n’est-ce pas s’ouvrir l’esprit et le coeur à ce que l’on ne connaît pas encore ?

De nos jours, au beau milieu d’une polarisati­on étouffante, le seul gagnant est le miroir. Celui dans lequel des censeurs bienheureu­x se mirent pour n’admirer que leur propre reflet.

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Dans notre monde polarisé, il n’y a rien d’étonnant à voir le même manichéism­e s’étendre jusqu’à la sphère universita­ire ou littéraire.
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