La lecture nuit gravement à l’ignorance
« La lecture nuit gravement à l’ignorance » : cette affiche trône dans mon bureau depuis longtemps. Peut-être aurais-je dû en faire cadeau à Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ).
Ayant reçu « des plaintes », elle avait fait disparaître les suggestions de livres de François Legault pour une campagne de l’ALQ. Certains lui reprochaient de donner une tribune à un premier ministre « raciste ». D’autres s’en prenaient à sa liste contenant un livre de Mathieu Bock-Côté.
Moi-même auteure de livres d’analyse politique, j’en ai eu les jambes sciées. Critiquée, Mme Fafard s’est excusée hier de son erreur. Son premier réflexe reste néanmoins d’avoir courbé l’échine devant des appels outranciers à sélectionner les idées et les livres sur d’obscures bases idéologiques.
Sa décision initiale était une énième manifestation pitoyable de la chasse ambiante aux idées. A-t-on besoin de rappeler l’humiliation imposée par l’Université d’Ottawa à une enseignante pour avoir dit le mot qui commence par « n » à des fins pédagogiques ? Un exemple parmi d’autres sur les campus.
Qu’est-ce que tout cela dit de nos sociétés ? Que dans notre monde de plus en plus polarisé, il n’y a plus rien d’étonnant à voir le même manichéisme s’étendre jusqu’à la sphère universitaire ou littéraire.
TENDANCE LOURDE
Derrière cette tendance lourde se cache toujours l’acte préliminaire de discréditer personnellement celle ou celui dont la pensée hérisse les censeurs patentés. Souvent, cela se fait par voie d’« étiquetage » simpliste et répétitif.
On trouve ainsi des polarisés de la « droite », indignés à temps plein de toute plume de la « gauche », qu’ils étiquettent mécaniquement d’« extrémiste ». On trouve aussi des polarisés de la « gauche », indignés à temps plein de toute plume conservatrice, qu’ils étiquettent mécaniquement de « raciste ».
Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. C’est connu. L’usage du discrédit personnel pour tenter de rayer une pensée de la carte n’a rien de nouveau. Ce qui l’est, par contre, est son effet de contagion par la « chambre d’écho » des médias dits sociaux. Euxmêmes de redoutables vecteurs de polarisation.
On ne « chasse » plus seul les porteurs d’idées qui nous déplaisent. Sur le web, on chasse en meute. D’où la réaction épouvantée d’organisations, artistes, auteurs, universités, etc., lorsqu’ils sont visés par ces tirs groupés.
SE TENIR DEBOUT
Au lieu de se tenir debout, plusieurs cèdent aux inquisiteurs. Ils achètent la paix, mais creusent la tombe de la liberté d’expression. Pour la démocratie et la vie en société, le résultat est à l’avenant.
Le simple dialogue est de plus en plus difficile. Le débat courtois se fait rare. La discussion civilisée, aussi. L’écoute de l’autre, même dans le désaccord le plus marqué, en est l’ultime victime.
Ironiquement pour la controverse actuelle, il fut un temps, pas si lointain, où la lecture était pourtant la meilleure préparation possible au dialogue. Lire, n’est-ce pas s’ouvrir l’esprit et le coeur à ce que l’on ne connaît pas encore ?
De nos jours, au beau milieu d’une polarisation étouffante, le seul gagnant est le miroir. Celui dans lequel des censeurs bienheureux se mirent pour n’admirer que leur propre reflet.