Un coeur à prendre à Gatineau
Souvent boudée, parfois snobée, Gatineau est la mal-aimée du Québec.
Par les étrangers et les Gatinois eux-mêmes.
J’en suis moi-même coupable.
Il faut dire qu’elle n’est pas toujours facile à aimer, cette ville, la quatrième en importance au Québec.
Probablement parce qu’il lui manque encore un coeur, un centre-ville digne de ce nom.
Son quartier historique, le Vieux-Hull, a la gueule de bois depuis 40 ans.
Des expropriations massives au tournant des années 1970, conduites surtout par le gouvernement fédéral, ont chassé 6000 personnes de ce quartier populaire.
On y a installé de charmantes tours administratives grises et brunes aux airs de bunkers soviétiques qui dominent encore le panorama.
DÉSERT ALIMENTAIRE
Les élus ont décrété un plan d’action il y a 12 ans pour repeupler l’endroit de 10 000 habitants.
Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Le Vieux-Hull a depuis perdu 5 % de sa population au courant de cette période.
Bref, c’est une catastrophe. Après une décennie à Ottawa, je suis récemment rentré au bercail, en quelque sorte.
J’ai longuement songé à m’établir au « centre-ville ».
Mais les options sont limitées, entre des maisons allumettes souvent en piteux état et des tours de condos hors de prix qui servent de pied-à-terre au gratin politique et économique, quand ils ne sont pas carrément laissés vides par des investisseurs.
Et puis l’île de Hull, malgré sa position géographique enviable, à un jet de pierre du parlement, est un désert alimentaire depuis maintenant plus de 20 ans.
Le quartier a perdu sa dernière épicerie en... 1999.
ACHARNEMENT ?
« If you build it, they will come ». C’est, en substance, l’appel des deux principales candidates à la mairie de Gatineau pour relancer le centre-ville.
L’une propose un nouveau centre des congrès (après une pandémie), et l’autre, une grande bibliothèque (un autre projet qui ne finit plus de mourir avant de naître).
C’est à se demander si les efforts pour « relancer » le centre-ville ne commencent pas à ressembler à de l’acharnement thérapeutique.
C’est en tout cas ce que pense un historien spécialiste de la région.
« Je pense qu’il est trop tard pour la présente génération, lance au bout du fil Raymond Ouimet. On n’arrête pas de chasser les familles. La population continue de diminuer pour les remplacer par des condos. »
« Je ne comprends pas qu’on ne veuille pas voir la réalité en face. Les élus de la région ne veulent pas reconnaître que ce n’est plus là que les choses se passent. »
À l’entendre, on peut difficilement être en désaccord avec lui.
Les « choses se passent » effectivement ailleurs. Au carrefour de boulevards anonymes à quatre voies se côtoient maintenant un cégep, un aréna multiglace flambant neuf, une salle de spectacle, un magnifique centre sportif, une bibliothèque, un centre commercial rénové, et même un cinéma.
Cet ailleurs n’est toutefois pas très invitant. L’idée serait de donner de l’amour à ces boulevards inhospitaliers, au lieu de pomper de l’argent au « centre-ville » à grands coups de subventions pour la construction de logements.
À ce point-ci, la question se pose : pourquoi pas !