Le Journal de Montreal

Il brise le silence après 70 ans

Un octogénair­e victime d’abus sexuels de la part d’un religieux se confie pour la première fois

- MARTIN LAVOIE

« J’AVAIS DÉVELOPPÉ DE LA RAGE. J’AI VÉCU 50 ANS DE RAGE » – Bernard Lavoie, victime d’abus aux mains d’un religieux dans les années 50

Agressé dans les années 1950 par un religieux, un octogénair­e témoigne pour la première fois de ces abus qui l’ont conduit jusqu’à la dépression et l’itinérance, lui qui menait pourtant une existence très confortabl­e.

Bernard Lavoie est né dans un quartier pauvre de Montréal. Élève très brillant, M. Lavoie a été recruté par l’OEuvre des vocations du diocèse de Montréal, l’Église offrant à des enfants surdoués de familles très pauvres une éducation supérieure.

À 12 ans, en 1954, il fait donc son entrée au collège classique Sainte-Marie où débutent des agressions sexuelles de la part du religieux qui l’a recruté.

« Il me déshabilla­it et plaçait un billet de 5 $ bien en vue. Il se masturbait, touchait toutes les parties de mon corps. […] J’allais vomir dans la salle de bain avec la triste pensée que je reviendrai­s assouvir les fantasmes de ce pédophile », raconte-t-il.

Au bout de trois mois, il parvient à refuser les avances du prêtre qui, heureuseme­nt, ne l’embêtera plus par la suite. Mais le mal était fait. À 16 ans, il décroche du collège.

« J’avais développé la rage. J’ai vécu 50 ans de rage », dit-il.

PROSPÉRITÉ ET CHUTE

Les années 1970 seront fastes pour lui. Recherchis­te à Radio-Canada, pigiste dans divers journaux, journalist­e au Journal de Montréal ,il viendra à participer à la fondation du très populaire magazine Lundi avec Claude J. Charron.

Un succès qu’il associe à son éducation dans un collège classique.

« Je me suis marié, j’ai eu deux enfants et j’avais une vie merveilleu­se dans une maison de 12 pièces », se remémore-t-il.

Et puis, vers 1985, ce qu’il définit comme l’effet « boomerang » le frappe de plein fouet.

« J’avais trop de responsabi­lités au travail. Le souvenir de mes agressions me revenait toujours. J’ai fini par n’avoir plus qu’un sac à dos et à me retrouver dans l’itinérance. L’effet boomerang, c’est que plus on lance le boomerang loin, plus il prend du temps à revenir et plus il frappe fort », explique-t-il.

Bernard Lavoie a probableme­nt atteint le fond du baril lorsque reconnu par un prêtre qu’il a apprécié alors qu’il quêtait devant un restaurant. L’homme l’a aidé à se reprendre en main.

LA LUMIÈRE

Celui qui admet qu’il prenait « un coup un peu » a ensuite déménagé dans une chambre à Québec où il a suivi une thérapie à la Villa Ignatia, le premier pas de sa « rédemption ».

En 1999, il participe à un concours pour produire le texte qui accompagne­ra la sculpture fontaine de Charles Daudelin devant la gare du Palais, concours qu’il remporte et qui lui permettra de reprendre confiance en lui.

Par la suite, durant une dizaine d’années, il fera de l’alphabétis­ation dans Limoilou. Actuelleme­nt, il travaille à son autobiogra­phie, qui sera son septième livre.

DES EXCUSES

Il y a trois ans, Bernard Lavoie s’est joint au recours collectif contre le diocèse de Montréal. À la fin mars de cette année, les 120 victimes ont pu se partager une enveloppe de 12 millions $. Pour M. Lavoie, l’impact se fera rapidement sentir.

« C’est surtout de savoir qu’il y a eu une enquête et que l’on a reconnu mon agression qui a fait du bien. Tout comme la lettre d’excuse de l’archevêque de Montréal, Christian Lépine », explique M. Lavoie.

Il dit se sentir mieux maintenant que la rage qui l’a habité durant 50 ans l’a « enfin quitté » et il n’a pas gardé de rancoeur envers la religion.

Bernard Lavoie est sans nouvelles de ses deux enfants depuis 10 ans qu’il aimerait bien retrouver : Isabelle, orthopédag­ogue à Montréal, née en août 1973, et Yannick, né en juillet 1976.

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PHOTO STEVENS LEBLANC Bernard Lavoie a longtemps vécu avec un sentiment de rage. Celui-ci l’a enfin quitté, dit-il. On le voit près de la gare du Palais jeudi.

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