Un accident est si vite arrivé en patins
Il milite pour le port du casque obligatoire sur les patinoires depuis que son amie s’est tuée en patinant
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
C’est maintenant le printemps, mais la saison du patin dure toute l’année à la patinoire de l’Atrium au centre-ville. Un lecteur du Journal m’y a donné rendez-vous pour me raconter l’accident de patinage auquel a récemment succombé son amie et pour parler de sa nouvelle vocation : militer pour le port du casque obligatoire.
« Ce qui est arrivé est tellement affreux que je veux qu’on en parle et que ça sensibilise les gens », me confie Gilles Proulx, 74 ans, un garagiste de Dorval à la retraite.
M. Proulx m’attendait à une table autour de la patinoire intérieure de l’Atrium, cette patinoire ouverte à l’année dans la métropole.
L’homme est troublé de revenir sur les lieux du drame.
Des piaillements joyeux et des rires d’écoliers en patins retentissent sous la verrière, la même atmosphère réjouissante que le jour de l’accident.
LA PIRE CHUTE POSSIBLE
Le 20 janvier, M. Proulx y donnait rendez-vous à sa nouvelle amie Linda, de son vrai nom Leung Cheung, 63 ans.
Gilles et Linda se voyaient pour des activités en plein air depuis moins de trois semaines.
« Nous avions déjà fait quelques tours de la patinoire. En voulant éviter un enfant, elle a perdu l’équilibre et est tombée de la pire manière possible. »
Au lieu de se retrouver sur les fesses, les deux patins de Linda ont décollé.
« Ses bras se sont soulevés. Elle est tombée sur l’arrière de la tête. Son crâne sur la glace a fait un bruit épouvantable. »
Les employés de l’Atrium ont aussitôt appelé l’ambulance, qui n’a pas tardé.
« Une trentaine de secondes après sa chute, elle a repris connaissance et m’a demandé où étaient ses lunettes, puis elle a sombré de nouveau. »
Ce furent ses dernières paroles.
« Linda est restée dans le coma 17 jours aux soins intensifs avant de mourir.
« Rapidement, les médecins ont ouvert son crâne pour permettre au sang de s’écouler. J’ai pris ses clefs pour aller chez elle afin de trouver sa carte d’assurance maladie et des coordonnées pour joindre sa famille. Sa fille, qui vit à Vancouver, m’a rejoint au chevet de sa mère. »
Leung « Linda » Cheung a rendu l’âme le 5 février.
PAS MORTE INUTILEMENT
Présent jusqu’à la fin aux soins intensifs de l’hôpital général de Montréal, M. Proulx a passé plus de temps au chevet de sa nouvelle amie inconsciente que les quelques heures avec elle lors de leurs sorties précédentes.
« Je connaissais Linda depuis peu, mais j’aurais donné ma vie contre la sienne. J’ai un cancer de stade 4 et j’étais plus vieux, alors qu’elle était en pleine forme. Elle faisait deux heures de yoga par jour et travaillait sept jours par semaine en occupant deux emplois différents. »
L’accident cauchemardesque aurait pu survenir sur n’importe quelle patinoire récréative où le port du casque est optionnel.
« Je suis arrivé à l’Atrium une heure avant l’entrevue avec toi pour calmer mes nerfs parce que je me doutais que je serais ébranlé de revenir ici... ça a quelque chose de surréaliste », confie M. Proulx.
Il me désigne l’endroit où son amie a chuté.
« Regarde ! Presque aucun des adultes ne portent de casque ! Certains enfants n’en ont pas non plus parce que leurs parents ne le leur imposent pas ! » se scandalise M. Proulx.
« Je ne peux plus regarder des gens patiner tête nue sans que ça me remue. Pourquoi le casque n’est-il pas obligatoire ?
« J’aimerais que la mort de Linda ne soit pas inutile. J’aimerais qu’on ouvre les yeux sur les dangers du patinage sans protection. La glace est beaucoup plus dure que nos têtes », plaide-t-il.
« L’équipe du 1000 de la Gauchetière est profondément attristée par le décès de Mme Cheung et a offert ses plus sincères condoléances à sa famille et ses proches », dit une gestionnaire de la patinoire, Nancy Bourbeau.
Comme les autres patinoires similaires au Québec dont j’ai consulté le règlement en ligne, l’Atrium n’oblige pas le port du casque tout en le recommandant fortement. Les patineurs peuvent en louer un pour le prix modique de 1 $.