« Les gens doivent être informés »
Des irréductibles de la presse locale se dressent contre les « déserts de l’information » aux États-Unis
AFP | Carnet sous le bras et casquette à l’effigie de son journal local sur la tête, Matti Gellman a beau débuter, elle est la première à poser des questions lors d’un point presse avec le gouverneur du Maryland, Wes Moore, dans le nord-est des États-Unis.
À 26 ans, elle a récemment rejoint la rédaction du Baltimore Banner ,au moment où beaucoup s’alarment d’une presse écrite américaine « en voie d’extinction », à l’approche des élections présidentielles et législatives de novembre.
À Baltimore, plus grande ville du Maryland, Matti Gellman et ses collègues comptent défendre le journalisme local.
« On est un peu comme une start-up », s’amuse la jeune femme, chargée des sujets culinaires, des restaurants à tester aux problèmes d’insécurité alimentaire.
« J’ai été très attirée par le fait que le Banner a été bâti par des gens un peu déçus par l’industrie de la presse et qui cherchaient à créer quelque chose de différent », raconte-t-elle.
Son enthousiasme tranche avec le marasme que traverse le secteur : ventes en berne, licenciements massifs, manque de financement. Dans une étude, l’université de Northwestern, à Chicago, a identifié l’année dernière 204 « déserts de l’information » locale parmi les environ 3000 comtés du pays : « ni journaux, ni sites internet, ni radios publiques ».
« BESOIN D’UN BON JOURNALISME »
Le Baltimore Banner fait partie des irréductibles. Ce média indépendant a été lancé en 2022 sur internet pour concurrencer le dernier journal local de la ville encore en activité, le Baltimore Sun, vieux de 187 ans.
« Les gens doivent être informés », insiste la rédactrice en chef Andrea McDaniels. Sinon, « ils ne peuvent pas prendre les bonnes décisions, les écoles s’effondrent, la corruption politique s’installe », dans un pays où les États disposent de grandes prérogatives par rapport au pouvoir fédéral de Washington.
« Nous avons donc besoin d’un bon journalisme », insiste-t-elle, dans le brouhaha de sa salle de rédaction.
Si la révolution internet a bouleversé le secteur depuis plus de 20 ans, la crise a pris de l’ampleur ces derniers mois. Elle n’épargne pas les mastodontes, du Washington Post au Los Angeles Times ,en passant par les sites comme BuzzFeed News et Vice, qui ont tous deux été fermés.
Au niveau local, la situation est encore pire : les journaux disparaissant au rythme de plus de deux par semaine, selon l’université de Northwestern.
L’état de l’industrie est « en péril », constate Penny Abernathy, professeure et ancienne journaliste, qui a dirigé l’étude.
« Nous avons perdu plus d’un tiers de nos journaux au cours des 18 dernières années, et près des deux tiers des journalistes que nous avions en 2005 », détaille-t-elle.
« MAUVAIS POUR LA DÉMOCRATIE »
Selon cette étude, près de la moitié des comtés américains n’ont qu’une seule offre d’information locale, souvent un hebdomadaire. Des dizaines risquent encore de disparaître.
« Nos vies sont ancrées au niveau local », fait valoir Ellen Clegg, cofondatrice d’un autre organe d’information, le Brookline. News, dans le Massachusetts.
« C’est ici que nous votons. C’est là que nous élevons nos enfants, que nous les éduquons », poursuit-elle. Le risque de telles fermetures, selon elle : une information qui deviendrait complètement nationale.
Autre conséquence : la quête d’information sur les réseaux sociaux, avec leur lot de fausses nouvelles et autres théories du complot. Un phénomène qui accentue la polarisation du pays, regrette Ellen Clegg.
Elle cite l’exemple de l’école où, au lieu de s’interroger sur des questions de rénovation des établissements ou de niveau en mathématiques des élèves, certains parents « s’insurgent au sujet des questions raciales ou liées aux transgenres », thèmes qui divisent l’opinion publique.
Et c’est « mauvais pour la démocratie », abonde Bob Cohn, PDG du Baltimore Banner. Malgré les incertitudes sur les financements, assurés par les donateurs et les lecteurs, M. Cohn se dit plein d’espoir, parlant « de dynamisme et d’innovation dans un secteur qui reconnaît la profondeur du problème ».