Le Journal de Quebec - Weekend

Quel est le moment pour un « biopic »?

- Guy Fournier Collaborat­ion spéciale gfournier@journalmtl.com

Cette semaine, à Paris, je mangeais avec un ami londonien qui a rencontré Madame Margaret Thatcher plusieurs fois, surtout au moment où elle était première ministre d’angleterre entre 1979 et 1990. La dame de fer , comme on l’a surnommée, a profondéme­nt changé son pays et lui a redonné sa fierté en ordonnant à la flotte britanniqu­e de reconquéri­r les îles Falkland (les Malouines), occupées momentaném­ent par l’argentine. Cette audacieuse décision a consacré Madame Thatcher comme une personne résolue, capable de prendre rapidement des décisions difficiles.

Depuis le 5 janvier, La dame de fer est à l’affiche de toutes les grandes salles de cinéma de Grande-bretagne. Composé de plusieurs scènes d’archives, ce long métrage, qui met en vedette Meryl Streep, présente une Thatcher diminuée par la maladie d’alzheimer. On la voit dialoguer avec son mari Denis, mort il y a huit ans, et le récit ne cache rien de ses relations inhabituel­les avec ses deux enfants, sa fille Carol qu’elle n’aime pas et son fils Mark qu’elle couve comme un enfant!

UNE VRAIE HÉROÏNE

C’était un pari fort risqué de la part de la réalisatri­ce Phyllida Lloyd (surtout connue pour son travail à la télé) de montrer la dame de fer dans cet état. Plusieurs personnes ont dénoncé ce choix et le premier ministre David Cameron lui-même a trouvé répréhensi­ble qu’on ait ce sans-gêne. Pour la plupart des Britanniqu­es, Madame Thatcher est une héroïne qu’ils mettent sur le même pied que Winston Churchill ou même l’amiral Nelson.

J’ai demandé à mon ami, ancien directeur de la BBC et lui-même producteur et réalisateu­r, ce qu’il avait pensé du film qu’il a vu en avant-première. Il ne m’a pas caché avoir été très mal à l’aise de voir qu’on avait construit le scénario autour d’une Madame Thatcher qui n’a plus toute sa tête et dont les souvenirs s’entremêlen­t.

POURQUOI CHOISIR UNE AMÉRICAINE?

La nationalit­é de la vedette est un autre sujet de controvers­e. Les Anglais n’acceptent pas qu’on ait choisi Meryl Streep qui est Américaine pour jouer le rôle de Madame Thatcher à l’âge mûr. C’est une actrice anglaise, Alexandra Roach, qui la personnifi­e plus jeune. Personne ne conteste les extraordin­aires qualités d’actrice de Meryl Streep, mais une Américaine pour jouer une héroïne britanniqu­e, c’est tout un faux pas. Quand Stephen Frears a réalisé l’excellent film The Queen, c’est une Anglaise, Helen Mirren, qui a joué le rôle de la reine Elizabeth. Elle était si remarquabl­e qu’elle a remporté un Oscar pour son interpréta­tion.

Meryl Streep fait dans La dame de fer une excellente prestation et les producteur­s souhaitera­ient bien la voir remporter un Oscar, mais il y a peu de chance que leur souhait se réalise. L’académie du Cinéma des États-unis, qui compte des centaines de votants très soucieux de ne pas faire trop de vagues, y pensera à deux fois avant de mettre Meryl Streep en nomination. De plus, le film n’est pas très réussi. Rien pour écrire à sa mère!

La controvers­e autour du film et l’immense popularité de Madame Thatcher pourraient bien faire son succès. Pour son premier week-end en salles, au Royaume-uni, La dame de fer a fait trois fois plus de recettes que The Queen à son premier week-end. Aux États-unis, le film est sorti officielle­ment hier, mais quatre copies ont été projetées en salles le 30 décembre afin qu’il soit éligible pour les Oscars. Durant le week-end du jour de l’an, ces quatre copies ont récolté 220 000 $ au box-office, ce qui est plus que prometteur.

Madame Thatcher, qui a 86 ans, ne verra pas le film. On a décidé de ne pas lui montrer, ce qui me laisse penser qu’on aurait mieux fait d’attendre qu’elle soit morte pour l’immortalis­er au cinéma!

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