Le Journal de Quebec - Weekend
Poulet aux prunes
PARIS | Auteure de bande dessinée à succès, Marjane Satrapi a fait le saut au cinéma il y a cinq ans en adaptant sa série de livres Persepolis avec son collègue Vincent Paronnaud. Le résultat, un film d’animation aussi caustique que sensible, leur a valu
Pour son second film, le tandem a décidé de se tourner vers une autre bande dessinée de Satrapi, Poulet aux prunes, prix du meilleur album au Festival d’Angoulême en 2005. Sauf que cette fois-ci, les deux réalisateurs et bédéistes ont délaissé l’animation pour travailler avec des acteurs, dans de vrais décors.
« C’était un choix évident, explique Marjane Satrapi lors d’une rencontre avec quelques journalistes, à Paris, en janvier dernier. « Je crois que c’était nécessaire de faire
Persepolis en animation. Si on avait tourné le film dans un cadre réel, les gens n’auraient pas reconnu le contexte géographique et politique et nous l’auraient vite reproché. Or, c’est d’abord une histoire très humaine et nous voulions qu’elle ait une portée universelle. L’abstraction des dessins faisait en sorte que tout le monde pouvait s’y identifier. »
« Dans le cas de Poulet aux prunes, c’est une histoire d’amour. Elle est donc, par définition, universelle. Nous voulions aussi qu’elle ressemble aussi à un conte de fées, d’où le choix de la tourner dans un studio. »
Malgré le succès critique et populaire de Persepolis, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud voulaient aussi éviter de reprendre la même formule.
« Persepolis a très bien marché, mais il n’était pas question de faire dix autres films en utilisant le même genre d’animation », signale l’auteure franco-iranienne de 42 ans.
AMOUR IMPOSSIBLE
L’histoire de Poulet aux prunes se déroule en Iran, en 1958. Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric), un joueur de tar très talentueux, entreprend de se laisser mourir après que sa femme ait cassé l’instrument qui lui procurait toute son inspiration.
« C’est l’histoire d’un homme déprimé qui décide de mourir », résume Marjane Satrapi.
« Or, il n’y a rien de plus ennuyeux au monde qu’un homme déprimé. Le défi était donc de trouver un moyen de rendre cette histoire intéressante, amusante et divertissante. D’où l’intérêt de se concentrer sur l’histoire d’amour impossible qu’il a eue avec une autre femme avant de rencontrer celle qu’il a épousée. »
Autour de Mathieu Amalric, les deux réalisateurs ont rassemblé une distribution éclectique, composée notamment de Jamel Debbouze, Maria de Medeiros, Chiara Mastroianni et Édouard Baer qui prête sa voix au narrateur de l’histoire et ange de la mort…
« Quand on a décidé que le narrateur serait l’ange de la mort lui-même, j’ai tout de suite pensé à Édouard Baer à cause de sa belle voix, suave, nonchalante et très littéraire », admet Satrapi.
« C’est ainsi que j’aime imaginer l’ange de la mort. Parce que je suis totalement obsédée par l’idée de la mort et je refuse de la voir personnifiée par ce vieil homme barbu et méchant qu’on voit souvent dans des illustrations. Je souhaite que le jour où je verrais la mort, elle ressemblera à Édouard Baer ! »
TRANSITION
Marjane Satrapi assure que la transition de l’animation au travail de tournage avec de vrais acteurs ne lui a pas donné de maux de tête.
« Je ne veux pas paraître arrogante, mais je n’ai pas trouvé cela si difficile. Si on sait ce qu’on veut, qu’on est capable de trouver les bons mots pour le décrire et qu’on a de bons acteurs, c’est même plutôt facile. J’ai tellement joué ces personnages, seule devant mon miroir, que je savais exactement ce que je cherchais. »
Présenté en première au Festival de Venise en septembre dernier, Poulet aux
prunes n’a pas connu autant de succès que Persepolis, autant auprès de la critique que du public. Ce qui ne semble pas trop déranger son auteure.
« Pour moi, quand le film est terminé, c’est terminé », lance Satrapi.
« Je me fous ce qui se passe après. Je ne tape pas mon nom sur Google par la suite. Bien sûr, ça me fait plaisir quand les gens me disent qu’ils ont aimé le film. Eh oui, le film a peut-être eu moins d’impact que Persepolis. Mais pour moi, ce n’est pas grave. Ma grande crainte, c’est plutôt de ne plus aimer le film quand je le reverrai dans dix ans. Ça, pour moi, ce serait terrible. »