Le Journal de Quebec - Weekend

Julie a secoué le temple de la télé

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Comme Samson qui a secoué les colonnes du temple, Julie Snyder a secoué celles de la télévision. Loin de s’écrouler comme le temple de Gaza, notre télé y a trouvé un nouveau souffle, en particulie­r pour ses talk-shows et ses variétés, deux genres que le temps et le manque d’imaginatio­n des diffuseurs avaient figés. C’est d’abord pour ses folles audaces qu’il fallait rendre hommage à Julie, ce que la France a su faire en lui conférant le grade de chevalier de l’Ordre du mérite.

Dans cet ordre où elle retrouve parmi des milliers d’autres chevaliers des visages du spectacle aussi connus que Jane Birkin, Sandrine Kiberlain, Muriel Mayette ou Sylvie Vartan, Julie ne détonne pas. Comme Simone Veil, qui fait aussi partie de ce sélect aréopage, Julie a pris à bras-le-corps plusieurs des causes défendues par les féministes, en particulie­r la procréatio­n assistée sans laquelle ses enfants, Thomas et Romy, n’existeraie­nt pas.

LE CONCOURS DES GÉMEAUX

J’ai entendu parler de Julie pour la première fois en 1990. Si ma mémoire est bonne, le regretté Vincent Gabriele, fier comme un paon, avait fait inscrire la très jeune animatrice de son émission Sortir (TQS) au concours des prix Gémeaux.

Ce soir-là, comme plusieurs, je découvrais une animatrice qui marchait dans les pas d’aucune autre et qui réinventai­t un métier paraissant bien au point jusque-là. De toute évidence, cette femme minuscule ferait fi de sa fragilité pour foncer comme un bulldozer dans la jungle de la télé, prête à la virer sens dessus dessous.

Derrière cette femme, il y avait un homme (souvent, c’est l’inverse!), effacé, discret, fuyant, mais c’était une inépuisabl­e machine à idées n’attendant qu’une bougie d’allumage pour se mettre en marche. Julie Snyder et Stéphane Laporte avaient besoin l’un de l’autre pour mettre en pièces les vieux carcans du talk-show et en échafauder de nouveaux.

COUP DE JEUNE À LA SRC

Avec leur émission L’enfer, c’est nous aut

res, les deux inséparabl­es redonnent à Radio-Canada un coup de jeune qui s’avérera durable. Julie n’hésite pas à se jeter dans le Saint-Laurent (ce qui deviendra une habitude) pour bien montrer que rien ne l’arrête quand il s’agit de retenir l’attention des téléspecta­teurs ou de piquer leur curiosité.

Bien plus que ces frasques et ces bravades, c’est l’inventivit­é du couple qu’il faut retenir, sa capacité à convaincre les autres d’oublier leurs réticences naturelles, les amener à faire abstractio­n de leur amour propre ou de leur situation dans la société pour se livrer pieds et poings liés au bon vouloir de l’animatrice. Cette chimie qu’elle a presque toujours réussi à susciter entre elle et ses invités a fait de ce rendezvous estival de Radio-Canada une émission qu’on n’a pas oubliée.

Il lui fallait tout un culot pour interroger Catherine Deneuve avec un sac de papier kraft sur la tête. Plutôt prude de nature, Julie Snyder ne s’est pas écroulée et n’a pas perdu pied lorsque Serge Gainsbourg, à qui elle demandait quel était le plus beau cadeau qu’il ait fait à une femme, lui répondit après une hésitation: «Ma queue!» Cette indéniable aptitude de Julie à désarçonne­r gentiment ses invités ou accepter de l’être par eux continue de faire école.

ON LUI DOIT BEAUCOUP

Malgré leur talent naturel et leur travail acharné, une Véronique Cloutier et un Éric Salvail doivent beaucoup à Julie, sans peut-être qu’ils le sachent eux-mêmes. Elle leur a ouvert des sentiers qu’ils peuvent maintenant fouler sans risques. Serait-ce faire injure au très doué Marc Labrèche qu’écrire que La fin du monde est à sept heures et Le grand blond avec un show

sournois n’auraient sans doute pas vu le jour sans la présence préalable à l’écran d’émissions comme L’enfer, c’est nous

autres et Le poing J? Si Stéphane Laporte aborde la télévision avec l’intelligen­ce et l’acuité d’un chercheur de laboratoir­e, Julie Snyder, elle, y va carrément d’instinct. Quoiqu’elle ne soit pas cent pour cent de souche, comme la trahit son nom de famille, Julie a pour le public un nez infaillibl­e. Elle n’a fait ni sciences sociales ni psychologi­e de masse, mais elle connaît encore mieux que le regretté Jacques Bouchard «les 36 cordes sensibles des Québécois». Il ne faut pas chercher ailleurs que dans son flair et son intuition les raisons du succès extravagan­t de Star Académie, du Ban

quier et même de La Voix. Même s’il s’agit de trois concepts étrangers, Stéphane Laporte, Julie et son équipe les ont littéralem­ent habillés à la québécoise, tuque et ceinture fléchées comprises.

DES PAGES À RÉSERVER

Il y a du Don Quichotte et du Sancho Panza dans le couple Snyder-Laporte, celui-ci se conformant avec grâce –et parfois avec mauvaise humeur- aux idées insensées et visionnair­es de celle-là.

Quand on écrira l’histoire de la télévision francophon­e –qu’elle soit française ou québécoise- il faudra réserver plusieurs pages à Julie Snyder et à son partenaire, deux géants de la télé malgré leur petite taille.

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