Le Journal de Quebec - Weekend

UNE FEMME AUX MULTIPLES FACETTES

- Élizabeth Ménard ELIZABETH.MENARD@QUEBECORME­DIA.COM

En près de 25 ans de carrière, Fabienne Larouche est devenue l’auteure de télé la plus prolifique que le Québec ait connue. Femme d’affaires impitoyabl­e, guerrière, bagarreuse, elle est aussi timide et réservée. «Tu sais, on est plusieurs choses», souligne-t-elle avec sagesse. Portrait d’une femme multidimen­sionnelle.

Dans sa grande maison de Saint-Sauveur, Fabienne Larouche a une vue imprenable sur les pentes de la montagne qu’elle dévale depuis ses six ans. L’endroit est chaleureux et décoré avec goût.

Sur une grande table ronde en bois, on trouve un crâne de bovin en verre, s’agrémentan­t d’un chandelier dont la forme rappelle des bois de cervidé. «J’appelle ça Santa Fe comme style de déco, ou Arizona. Tu diras: elle est country, Fabienne!» lance-t-elle en riant, consciente du paradoxe.

«Les gens sont souvent surpris quand ils arrivent ici. Ils s’attendent peut-être à voir du marbre ou quelque chose de plus froid», dit-elle.

UNE FILLE DU NORD

Fabienne Larouche a grandi dans le nord et n’a jamais pu le quitter. Elle a déjà pensé se rapprocher de Montréal. «Mais, tu sais quoi? Je ne suis pas capable de rester à Montréal le samedi et le dimanche», avoue-t-elle.

Les rues de Saint-Sauveur regorgent de souvenirs. «À l’automne 1974, je vais avoir 17 ans. On écoute Donna Summer, Barry White et les Bee Gees et on sort au Harakiri [une discothèqu­e] qui était juste en bas de la côte ici, l’autre bord de la rue», se souvient-elle en pointant du doigt une fenêtre.

«On stationnai­t la voiture dans cette rue-ci. Et je vis ici maintenant, à 30 secondes de là.»

Difficile d’imaginer Fabienne Larouche avec des fleurs dans les cheveux et des jeans, mais elle était une adolescent­e comme les autres. «C’était l’avènement du disco, le patchouli, les jeans. On cousait nos jeans pour qu’ils soient serrés aux genoux, se souvient-elle. C’est le seul temps dans ma vie où j’ai cousu. Je lavais mes jeans tous les soirs et je les mettais dans la sécheuse pour qu’ils rapetissen­t.»

RÉSILIENTE

La conversati­on vogue d’un sujet à l’au- tre: les Emmys, l’enseigneme­nt, la pression d’écrire une quotidienn­e, ses nièces et les enfants de son mari avec qui elle entretient une belle relation. «J’ai tout le temps eu le temps d’en faire, [des enfants], puis un jour je n’avais plus d’ovule, donc je me suis dit: je pense que je n’aurai pas d’enfant! C’est la vie. C’est comme ça», lance-t-elle en riant, ne semblant ni triste, ni amère.

Fabienne Larouche ne se voit pas comme une fonceuse, mais plutôt comme une résiliente qui prend les choses comme elles viennent. «Des fois, je pense que sur ma tombe, ils vont écrire Résiliente.»

«Penses-tu que je suis fonceuse? demande-t-elle. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Des fois, les gens ont une perception de moi que je trouve drôle. Où peut-être que je ne me vois pas comme je suis. Est-ce que je suis si fonceuse ou bien est-ce que j’ai eu des opportunit­és?»

INJUSTICES ET TIMIDITÉ

Petite, Fabienne Larouche était discrète, timide et réservée. Elle n’était pas l’enfant culottée qu’on s’imagine.

Et sans crier gare, la fillette timide refait parfois surface. «Quand j’ai rencontré J.J. Abrams [ Star Trek, Armageddon] aux Emmys l’année dernière, j’étais complèteme­nt gênée, raconte-t-elle avec l’excitation d’une fillette. Écoute, c’est mon héros. J’étais complèteme­nt fan. Il me parlait en français. Il est très gentil. Il s’en allait tourner Star Wars. »

C’est lorsqu’elle parle d’injustices que la Fabienne Larouche bagarreuse se réveille. Elle en a vécu, des injustices. Mais elle n’aime pas s’étendre sur le sujet. «C’est des places où on ne va pas», dit-elle, prudente, avant de poursuivre.

«La misogynie, ça existe. Et ça existe encore. Aujourd’hui, je suis plus vieille. J’avais 30 ans, j’étais bagarreuse, guerrière. Je le suis encore, mais quand on vieillit… j’ai appris la résilience. J’ai mangé des claques sur la gueule. J’ai pris mon trou, confie-t-elle. La misogynie, ça existe, le paternalis­me, ça existe, les sexistes, les machos, ça existe encore. Et des fois, c’est vicieux. Ça n’a pas l’air de ça, mais c’est ça.»

La jeune fille timide a dû foncer, notamment en 1999, lorsqu’elle a décidé de dé- noncer les producteur­s de télé qu’elle accusait de s’enrichir sur le dos des contribuab­les. Puis, l’affaire Cinar a éclaté et elle est encore montée aux barricades.

«Un moment donné, je me suis retrouvée à prendre une place que je ne revendiqua­is pas tant que ça. J’ai été poussée, je me suis retrouvée là. À l’époque de Claude [Robinson], de Cinar et des producteur­s, je me suis retrouvée à prendre une place dans l’espace public… [elle hésite] qui était plus grosse que moi-mê- me», avoue-t-elle.

Mais on choisit ses guerres. Avec le temps, elle s’est assagie. «Il y a un moment où j’ai compris: on ne va pas changer la terre entière donc je vais faire mes choses. Maintenant j’essaie juste de faire des belles séries.»

C’est vrai, «on est plusieurs choses». Fabienne Larouche est timide, bagarreuse, réservée et bouillonna­nte. Elle est une auteure, une productric­e, une amie et une femme.

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PHOTO BEN PELOSSE, LE JOURNAL DE MONTRÉAL Fabienne Larouche habite Saint-Sauveur depuis qu’elle a 21 ans. De sa maison, elle a une vue imprenable sur la montagne.
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