Le Journal de Quebec - Weekend
Tout et son contraire
Il en a coulé de l’eau sous les ponts. Et pourtant. Ce nouveau CD de Jean Leloup se reconnecte avec l’essence, le fioul, le dénominateur, la signature des trois premiers CD et, selon plusieurs, avec l’âge d’or. Willie, chanson d’ouverture et cadeau karaoké du temps des Fêtes, remet les compteurs à zéro. En bref, un riff à la guitare acoustique, un backbeat et un groove hypnotique sur lequel il rappe ou éructe ( Willie). Ou bien il emprunte, le temps d’une pause, le ton de la complainte ( Le roi se meurt). Dix chansons, brèves, de petites mélodies à la guitare et des méditations sur le sens de l’existence ( Feuille au vent). D’une simplicité, ou nudité, désarmante. Le tout est habillé par la suite avec un goût certain par les arrangements et les touches parfois fabuleuses ( Zone Zéro) des claviers de Carl Bastien, des suppléments électros de Nicolas Pellerin, d’Alain Berger, un batteur capable de faire “groover” un paquet de haricots, et du contrebassiste Martin Roy, à qui on doit les arrangements pour quatuor à cordes d’une des plus belles chansons de l’album, Le roi se meurt. Joue-t-il toujours de la guitare? Sur une seule chanson, Les flamants roses; une dérive, la seule du CD, à l’électrique, crue, psychédélique, brouillonne et bruyante, un peu à la Frusciante. À Paradis City fait un clin d’oeil aux beaux jours (ou aux belles nuits) partagés avec James Di Salvio, avec un son post-années 80. Mais c’est surtout Willie qui frappera les fans de Gainsbourg; on croit entendre une variation de L’histoire de Melody Nelson, avec sa petite note de surf & twang à la coda finale. En bref, tout et son contraire: des thèmes où il se livre; un aveu d’instabilité et de vulnérabilité; des incertitudes qui rongent; l’admission candide de laisser l’arrogance désormais au vestiaire, mais aussi, et paradoxalement, l’ivresse d’exister. Un mélange de cru, d’instinctif, de personnel, un soupçon nostalgique, emballé à la mode de chez nous.