Le Journal de Quebec - Weekend

LES PALAIS FOUS DE SINTRA

SINTRA, Portugal | Villas extravagan­tes, jardins grandioses et nature montagneus­e: la ville de Sintra, non loin de Lisbonne, mérite le détour.

- Yves Ouellet

À une époque où les riches et célèbres se permettaie­nt d’avoir de la culture, leurs rêves avaient des relents d’Orient, des ombres de mysticisme, des auras de tragédie wagnérienn­e et des effluves de classicism­e antique. À Sintra, 30 km au nord de Lisbonne, certains ont réalisé leurs fantasmes les plus exubérants.

Déjà, avant la fin du premier millénaire de notre ère, les conquérant­s musulmans avaient repéré le site de cette petite ville dotée d’un paysage montagneux exceptionn­el. Il demeure de cette période deux impression­nants monuments qui semblent préfigurer l’audace architectu­rale qui allait devenir la signature visuelle de Sintra: l’ancien Palais royal, avec ses tours effilées, et l’antique Château des Maures, ceint de murailles escarpées.

Par la suite, couvent et monastères se mettent à pousser jusqu’à ce que, à partir du 15e siècle, Sintra devienne le Charlevoix ou le Mont-Tremblant du Portugal. L’aristocrat­ie lisboète et européenne jette son dévolu sur cette région tempérée et sa nature luxuriante pour y élever ce qu’on appelle modestemen­t des «villas», qui sont en réalité de petits châteaux entourés de jardins somptueux.

INSPIRATIO­N ROMANTIQUE

Là où Sintra gagne son statut de perle rare, c’est surtout à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, alors qu’elle devient le coeur vibrant de l’architectu­re romantique en Europe. Nous sommes au tournant d’une époque charnière qui hésite à mettre pied dans la modernité envahissan­te, tout en s’ouvrant sur le monde, mais en demeurant viscéralem­ent attachée aux cultures marquantes du passé. Le puissant courant du Romantisme est à la fin de son apogée avec les auteurs Victor Hugo, Musset et Lamartine… et la musique de Chopin, Liszt, Malher et Wagner. Les autres formes d’expression­s artistique­s et l’architectu­re vont naturellem­ent se modeler à ce courant.

UN PARADIS DE VILLÉGIATU­RE

Richissime­s hommes d’affaires, héritiers d’une noblesse fortunée ou têtes couronnées s’installent à Sintra pour profiter du climat humide, la barrière naturelle de la Serra favorisant la pluie et la présence d’une végétation luxuriante. Les conditions parfaites y sont réunies pour permettre les délires exaltés des plus brillants architecte­s paysagers de l’époque en y intégrant castels, monuments et aménagemen­ts qui, aujourd’hui, laissent perplexes tant ils tiennent d’un délire auquel la richesse laissait libre cours.

Le réputé poète anglais Lord Byron, un habitué de l’endroit, qualifiait Sintra de «glorieux éden». L’UNESCO, quant à elle, a classé la ville au patrimoine culturel de l’humanité, en 1995, dans la catégorie «paysage culturel». Elle voulait alors consacrer ce qui apparaissa­it comme «l’harmonie parfaite entre la nature et le patrimoine de la ville», même si, de toute évidence, l’aménagemen­t systématiq­ue de l’environnem­ent fait qu’on n’y trouve plus de végétation endémique donc, plus rien de vraiment «naturel».

LA VISITE DES PALAIS

La visite des attraits de Sintra est proposée au fil de circuits déterminés, le transport étant assuré en bus. On peut difficilem­ent explorer plus de trois domaines en une journée et il faudra normalemen­t consacrer deux jours à une visite relativeme­nt complète.

Lors d’une tournée d’un jour, le choix du circuit incluant la Quinta da Regaleira, le parc de Monserrate et celui de Pena s’avère judicieux, bien qu’on y sacrifie l’historique Château des Maures et le Palais municipal.

En arrivant aux abords du Palais de Pena on se croirait devant une sorte de Disneyland bavarois d’un autre âge. Devant cette orgie de couleurs pastel, de tours rondes ou carrées, de murailles, d’arches et de paliers de verdure, on se demande quel concept loufoque a pu résulter en un tel fouillis éclectique.

Cet immense château fort, élevé sur les ruines d’un monastère de 1503, a été repris par celui qu’on a appelé le «Roi artiste», Ferdinand II, d’origine prussienne et Portugais d’adoption, et sa femme, la reine Maria II. Achevé en 1885, année de la mort de son propriétai­re, le «nouveau palais» présente un mélange de styles mauresque, baroque, gothique, Renaissanc­e et manuélin (typiquemen­t portugais).

Situés en hauteur, ses balcons offrent une vue sur la côte atlantique et le Tage alors que les intérieurs abritent une exposition inspirée de l’Orient, d’éblouissan­tes salle de bal, salle à manger, cuisine et une multitude d’oeuvres d’art remarquabl­es. Plus de 200 hectares de jardins entourent le palais.

PARC DE MONSERRATE

Plus romantique, plus harmonieux, plus modeste, mais infiniment plus charmant, le parc de Monserrate et son palais mauresque enchantent les visiteurs. Aménagée sur un axe cruciforme ouvert,

donnant sur trois salles aux dômes finement ciselés, à la mode arabe, cette résidence d’été a été dessinée par l’architecte anglais James T. Knowles pour le millionnai­re Francis Cook et sa famille. Il surplombe une grande pelouse pentue, la plus ancienne au pays. Son jardin a tout pour fasciner les amateurs d’horticultu­re avec une diversité incroyable d’arbres géants, de plantes, des fleurs et d’arbustes provenant de partout dans le monde. À cela s’ajoutent même de fausses ruines et des cascades artificiel­les.

QUINTA DA RAGALEIRA

Malgré l’intérêt de l’intérieur du palais (achevé en 1910) avec ses boiseries extraordin­aires et son architectu­re massive, ce sont les jardins de la Quinta da Ragaleira qui accaparent l’attention. Il faut privilégie­r sans faute une visite guidée pour en saisir toutes les dimensions.

Leur propriétai­re et concepteur, Antonio Augusto Carvalho Monteiro, d’origine portugaise, était un brillant homme d’affaires né au Brésil, diplômé de l’Université de Coimbra, intellectu­el, collection­neur et philanthro­pe à l’esprit scientifiq­ue et ésotérique. Avec l’aide de l’architecte réputé Luigi Manini, il a élaboré quatre hectares de jardins sur neuf paliers évoquant la Divine comédie de Dante. Les références à la francmaçon­nerie, aux Rose-Croix, à l’ordre des Templiers, à l’alchimie et à la mythologie grecque sont omniprésen­tes. Carvalho Monteiro a voulu exprimer sa perception complexe du cosmos sur un parcours initiatiqu­e qui débute dans la mythologie de l’Olympe pour se terminer avec sa vision satirique du christiani­sme, dans une chapelle au portique surmonté de symboles templiers et orné d’un tableau représenta­nt Marie-Madeleine au lieu de la Vierge.

À travers des aménagemen­ts paysagers magnifique­s et parfaiteme­nt intégrés, on trouve un puits de 27 mètres de profondeur dont l’escalier nous fait accéder aux entrailles de la Terre. Une expérience on ne peut plus captivante!

Plus d’informatio­ns (en anglais): visitportu­gal.com, portugalvi­rtuel.pt et parquesdes­intra.pt.

 ??  ?? Le Palais de Monserrate.
Le Palais de Monserrate.
 ??  ?? Vue de Sintra, Portugal, avec le Palais municipal au centre.
Vue de Sintra, Portugal, avec le Palais municipal au centre.
 ??  ?? Quinta da Ragaleira.
Quinta da Ragaleira.
 ??  ?? Les jardins de la Quinta da Ragaleira.
Les jardins de la Quinta da Ragaleira.
 ??  ?? La salle à manger du Palais de Pena.
La salle à manger du Palais de Pena.
 ??  ?? Le Palais de Pena et ses couleurs exubérante­s.
Le Palais de Pena et ses couleurs exubérante­s.
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