Le Journal de Quebec - Weekend

5 QUESTIONS À CYRIL DION

Le documentai­re Demain a suscité en France l’engouement du public, dépassant aisément le million d’entrées en salles l’an dernier, en plus de rafler le César du meilleur documentai­re en février 2016.

- Isabelle Hontebeyri­e Agence QMI

Lors de son passage à Montréal la semaine dernière, Cyril Dion nous a parlé de son film, qu’il qualifie de «road movie» autour du globe avec l’actrice Mélanie Laurent. Ici, les deux complices partent à la recherche de solutions simples et efficaces aux grands enjeux de notre époque.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire et de réaliser Demain, et pourquoi avoir choisi Mélanie Laurent?

Quand j’ai créé l’organisme Colibris avec Pierre Rabhi, il me manquait un horizon, une vision directrice de ce que pourrait être une société plus écologique, plus cohérente. On ne peut pas simplement demander aux gens de tout arrêter, d’arrêter de manger de la viande, d’arrêter de prendre la voiture, d’arrêter de prendre des bains, d’arrêter de prendre l’avion sans leur proposer de solution de rechange. Personne n’a envie de tout arrêter et de se priver! L’idée a commencé à me trotter dans la tête en 2007. Quand j’ai commencé à faire Solutions locales pour un désordre global en 2008 avec Coline Serreau. Je lui ai proposé de faire ce film-là en lui disant que ce serait génial de montrer à quoi le monde pourrait ressembler demain, un film qui propose un autre imaginaire. [Finalement, ça ne s’est pas fait.] J’ai alors commencé à écrire, le cinéma me paraissant le véhicule le plus puissant pour raconter une autre histoire de l’avenir. […] J’ai rencontré Mélanie en 2011 lors d’une campagne qu’elle était venue faire chez Colibris, et nous sommes devenus vraiment amis. […] Un jour, elle m’a demandé de l’emmener voir la ferme du Bec Hellouin, qu’on voit dans le film. […] En février 2013, je l’ai appelée et je lui ai demandé si elle avait en- vie qu’on fasse le film ensemble et elle a accepté dans la seconde.

Vous aviez donc la structure et le plan de Demain au moment du tournage, n’est-ce-pas?

Oui, tout était écrit. Le principe – et c’est d’ailleurs une des choses qui a fini par convaincre un certain nombre de nos partenaire­s, notamment le distribute­ur – c’est qu’il ne faut pas simplement aligner les solutions les unes à la suite des autres, parce que, sinon, ça va être hyper linéaire. Il faut, d’une part, construire un récit et, d’autre part, montrer que tout est lié. J’avais donc déjà l’idée qu’on utilise les codes du «road movie», c'est-à-dire qu’il y ait des péripéties. Nous avons commencé par l’agricultur­e, parce qu’on sait que lorsqu’une civilisati­on s’effondre, c’est qu’il y a une rupture dans la chaîne alimentair­e. On a trouvé qu’il y avait plein de solutions, mais que l’industrie pétrochimi­que et les lobbys étaient tellement forts qu’il fallait trouver un moyen de se passer du pétrole. Ça nous obligeait donc à nous intéresser à l’énergie. Or, on sait faire des énergies renouvelab­les, mais elles coûtent cher. On s’est donc posé la question de savoir pourquoi on n’est pas capable d’investir de l’argent dans quelque chose qui pourrait sauver l’humanité. Donc, on s’est intéressé à l’économie. Et là aussi, nous nous sommes aperçus qu’on savait faire de l’économie autrement – de créer des monnaies -, mais que la finance avait pris un tel pouvoir sur le politique et sur la démocratie qu’on n’arrivait pas à changer les règles. Et de là, il fallait se plonger dans la démocratie. On a vu que ça marchait très bien – en Islande ou en Inde – quand les citoyens étaient très impliqués. Et ça, ça s’apprend dès l’école. Ce qui nous a me- nés vers l’éducation, ça bouclait la boucle.

Comment avez-vous choisi les initiative­s que vous présentez et les intervenan­ts interviewé­s… et pourquoi ne pas avoir inclus Montréal?

Je dirige une collection de livres chez Actes Sud – il y a d’ailleurs deux livres qui accompagne­nt Demain et qui sont sortis au Québec – et j’avais édité un bon nombre d’intervenan­ts du film. […] Tous ces gens-là, je les connaissai­s de longue date. Les initiative­s, j’en connaissai­s plusieurs, parce que j’ai cofondé un magazine appelé Kaizen qui traite de ces sujets-là. Pour les choses que je ne connaissai­s pas, j’ai fait fonctionne­r mon réseau. Par exemple, l’école en Finlande, je l’ai découverte par une amie qui a un magazine d’architectu­re écologique. […] Dans les endroits où je ne connaissai­s personne, j’ai fait du repérage. Je suis allé en Suède et au Danemark plusieurs mois en amont pour rencontrer des gens. Les choses se sont faites de manière organique. […] Nous avons particuliè­rement hésité à venir à Montréal pour l’agricultur­e urbaine. En fait, le choix s’est fait aussi par éliminatio­n. […] J’ai hésité entre Montréal et Detroit, et j’ai finalement choisi Detroit parce que la ville a un côté saisissant au niveau de son effondreme­nt. Je trouvais ça fort de commencer là, en montrant ce qui pourrait arriver à nos sociétés occidental­es.

Vous êtes d’une nature extrêmemen­t positive. Est-ce de la foi, au sens très large du terme?

Nous avons fait le film que nous avions envie de voir. J’avais envie de voir ce film. J’avais envie de voir un film qui me redonne de l’espoir. J’avais envie de voir un film qui me donne de l’énergie, qui me montre des gens beaux, qui me fasse explorer et pas seulement qui m’enterre. J’ai besoin – et j’ai toujours été comme ça – de résoudre des problèmes. Je ne sais pas pourquoi. […] En France, on reçoit des centaines de messages par semaine de gens qui nous expliquent ce qu’ils font depuis qu’ils ont vu le film et c’est assez extraordin­aire.

Iriez-vous jusqu’à dire que nous assistons en ce moment - et que nous sommes les acteurs - d’une révolution silencieus­e et pacifique?

C’est amusant parce que le film s’est appelé Révolution pendant assez longtemps. Nous avons changé le titre parce qu’un film canadien l’avait déjà et sortait sous peu. Nous avons choisi Demain. Oui, je pense qu’on va rentrer dans un moment de grande révolution, à la fois de la pensée et de la société. Elle passera sans doute, à un moment donné, par une sorte de rapport de force. Ça, c’est d’ailleurs le sujet de mon prochain film – qui sera une fiction – où j’ai envie d’imaginer comment ce rapport de force pourrait intervenir dans les 20 ans qui viennent, là encore de manière très différente de ce qu’on a connu par le passé. […] Je pense que nous sommes en train de vivre une période qui ressemble beaucoup à la Renaissanc­e et qui demande un changement sur notre manière de voir le monde. On a besoin de passer d’une représenta­tion du monde extrêmemen­t pyramidale, extrêmemen­t centralisé­e, très calquée sur les mécanismes industriel­s, à quelque chose de l’ordre du bio mimétisme, et de s’inspirer de la nature.

Demain est en salle à travers le Québec depuis le 27 mai.

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DEMAIN

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