Le Journal de Quebec - Weekend
NOTRE CULTURE À L’ÉCRAN
Le Québec se distingue par sa culture, par sa créativité, par son unicité. Longtemps, la culture a occupé une place de choix sur nos ondes. Talkshows de fin de soirée, shows de chaises et de débats critiques, magazines culturels entrant dans les coulisses
Or, dans la dernière décennie, la place s’est étiolée. Certains types d’émissions ont été retirés des ondes, faute de moyens. Quand il a fallu couper, c’est la culture qui a écopé dans bien des cas chez nos généralistes. Les cases dans lesquelles peuvent se produire les artistes et mettre en valeur leur oeuvre sont peu nombreuses et rarement dans des créneaux à grande écoute. À moins d’être un artiste bien établi et populaire, il y a peu d’élus. Et la multiplicité des voix n’existe à peu près pas.
MÉDIATEUR CULTUREL
Elisabeth Roy est attachée de presse et directrice de l’agence Roy Turner depuis plus de 20 ans. «À une certaine époque, tous les réseaux avaient un talk-show à l’année. Un artiste pouvait être entendu à
Chabada, L’Écuyer, Sonia Benezra. Il avait un reportage à Flash, une présence au quotidien à Télé-Québec. Tous les artistes bénéficiaient d’une visibilité parce qu’il y avait plus de créneaux possibles. La nature des émissions a changé. Un artiste établi a des tribunes intéressantes pour être vu, mais pas nécessairement pour performer. Je remarque aussi qu’il y a moins d’effectifs dans les salles de nouvelles. On s’en rend compte lors de lancement où on ne peut pas être assuré de la
présence d’un reporter alors qu’avant, il y avait régulièrement des directs. Il y a moins de tribunes, moins d’effectifs et plus de produits à promouvoir. Ceci étant dit, je ne suis pas nostalgique. Il faut s’adapter. Tout est en mouvance. Mais chose certaine, la télévision a un impact sur l’oeuvre d’un artiste. Un passage à la télévision à Formule Diaz, Salut Bonjour, Ça
finit bien la semaine ou Tout le monde en parle est un véritable accélérateur.» «La télévision est un médiateur culturel puissant, note aussi Anne-Marie Jean, présidente-directrice générale du CALQ (Conseil des arts et des lettres du Québec). Elle permet de toucher beaucoup de gens et d’offrir à tout le monde l’opportunité d’avoir accès à une oeuvre, d’engendrer des réactions. La télévision inspire les gens à participer davantage et à développer une pratique, culturelle, personnelle.»
THÉÂTRE, DANSE, ARTS VISUELS
Si la musique et le cinéma bénéficient de tribunes, d’autres formes d’art doivent se tirer la couverte des quelques rares places disponibles pour se faire connaître. «Pour le théâtre, c’est une véritable catastrophe, mentionne Loui Mauffette, attaché de presse depuis 35 ans, dont 25 ans au Théâtre du Nouveau Monde. Et encore là, je suis chanceux parce que le TNM est quand même couvert, même si on repart à zéro à chaque spectacle. Mais il se passe tellement de choses à Montréal en théâtre. Même chose en danse, en art visuel. Mais où on va pour en parler?»
Paradoxalement, bien que les saisons des institutions culturelles, petites comme grandes, s’étendent de septembre à mai, certaines tribunes importantes renaissent en été. «Il y a un virage l’été, observe Loui Mauffette. Un talk-show quotidien est présenté à Radio-Canada, le temps d’antenne dans les téléjournaux est augmenté pour les festivals. Mais en janvier, où je vais pour faire parler de ma pièce? On présente La bonne âme du Se
Tchouan avec Isabelle Blais, France Castel, Louise Forestier, Marie Tifo. Personne n’est en ondes! Il manque vraiment une émission d’informations culturelles.»
MULTIPLICATION DES PLATEFORMES
En septembre dernier, Francine Allaire, anciennement directrice des dramatiques, puis du secteur culture et variétés de Radio-Canada, est devenue première directrice, stratégie culturelle de la télévision, Société Radio-Canada. «Grâce aux investissements annoncés par le gouvernement en avril, nous reprenons l’espace que nous avions perdu, promet-elle. Nous établissons une stratégie afin de faire croître les productions sur le plus de plateformes possible afin de rejoindre le public où il est. Plus on a
de fenêtres, plus on additionne les publics, et plus ça nourrit l’appétit et la curiosité du spectateur.»
«Aujourd’hui, le public est effectivement éclaté sur différentes sources, témoigne Anne-Marie Jean. Les jeunes sont d’ailleurs de grands consommateurs culturels. Et le premier contact qu’ils ont avec l’art se fait souvent à partir de leur téléphone intelligent. Le défi est de maintenir la diversité. Le citoyen est devenu son propre prescripteur. En faisant ses recherches sur les nouvelles plateformes, des algorithmes l’envoient vers des thèmes qu’il a l’habitude de consulter. S’il aime le hip-hop, c’est ce qu’on lui proposera. Il faut toujours développer de nouvelles façons de rejoindre le public pour l’exposer à une diversification.»
DIVERSITÉ CULTURELLE
«La mise en valeur de la diversité culturelle, régionale, ethnique est devenue prioritaire. Tout comme la valorisation de la culture autochtone. Il était temps qu’on la mette à l’écran», poursuit Francine Allaire. En ce sens, Espaces autochtones figure désormais au portail de la société d’État. Des captations théâtrales, comme La divine illu
sion présentée récemment, réapparaîtront sporadiquement à la programmation. Et le rendez-vous 50 films – 50 semaines propose actuellement 50 films canadiens sans pauses publicitaires à la fois sur ICI Radio-Canada les vendredis à 23 h, ARTV les dimanches à 21 h et Tou.tv.
La diversité est aussi importante pour Pierre Gang, directeur des programmes de TV5 et d’Unis. «Du côté de TV5, nous misons davantage sur une approche anthropologique ou sociétale de la culture. On cherche à voir où on se situe par rapport au reste du monde. Par le passé, on a constaté que les captations de spectacles ne fonctionnaient pas nécessairement contrairement à des concepts comme Crescendo, En direct de l’univers ou Belle et Bum. Ça prend un concept fort et beaucoup d’argent pour amener la musique à la télévision. Je ne pourrais par contre pas retirer le club de lecture sinon, les gens nous téléphonent. Il y a une écoute pour ces rendez-vous culturels. Mais ce ne sont malheureusement pas des chiffres qui paraissent au palmarès de Numeris.» «Mais sur Unis, il était important pour nous de donner une vitrine à des gens de qualité, qui représentent la francophonie partout au Canada, pour s’exprimer et rayonner. C’est ce que l’on fait avec des émissions comme Unis par le chant ou Ballade à
Toronto. »
MÉLANGE DES GENRES
La Voix diffuse beaucoup de chansons québécoises, Serge Denoncourt est juge aux Dieux de la danse, Marina Orsini a son club de lecture. Si la culture n’a plus beaucoup de véritables rendez-vous, on la retrouve à travers des visages connus, un peu partout.
«Les émissions plus grand public font connaître les artistes, affirme Francine Allaire. Et nos artistes au Québec traversent les formes artistiques. Guylaine Tremblay est regardée par 2 millions de téléspectateurs dans Unité 9. Elle assure de la visibilité à un film d’auteur ou à une pièce.
«Nous sommes soucieux d’avoir un bon équilibre entre des projets de variétés et d’autres, plus nichés. ARTV est là avec des séries sur l’art public, la bande dessinée, l’art érotique, l’opéra. À Radio-Canada, si on ne rejoint pas le grand public, nous ne sommes plus pertinents.
Tout le monde en parle a un impact immédiat, Virtuose a fait beaucoup pour la musique classique, et pour moi, les dramatiques, quand tu donnes la parole à des créateurs comme Serge Boucher, c’est aussi de la culture.»