Le Journal de Quebec - Weekend

LE TOURISME ARRIVE EN VILLE

- Gilles Proulx

Il y a quelque chose de nouveau à Cuba: le tourisme arrive en ville. Les touristes ne sont plus confinés à la plage ou aux parcs de sable. Les voici partout dans les grands centres urbains. L’architectu­re y est souvent magnifique, mais les bâtiments délabrés, parfois comme dans le Tiers-Monde. Pour le pouvoir, il y a de quoi avoir honte! On se prend à rêver de ce que serait, par exemple, La Havane restaurée.

«On a commencé le ménage!» me rétorque-t-on lorsque je pointe les signes de négligence flagrante qui hypothèque­nt la beauté des lieux. Parce que voilà: le délabremen­t graduel des édifices, que seuls les Cubains voyaient, ou plutôt ne voyaient plus, leurs yeux s’y étant habitués, leur réapparaît maintenant qu’il y a des étrangers pour en être témoins.

Lorsque le pape ou le président Obama venaient en visite, bien sûr, Cuba faisait le grand ménage. Mais cette fois, avec le tourisme en ville, cela veut dire des regards empreints de jugement en permanence. Souhaitons que l’argent ré- colté grâce au tourisme urbain ira à la réfection des beautés architectu­rales qui tombent en ruine – un vrai crime contre le patrimoine! Des fois, le long de la Malicone, on a l’impression qu’il y a eu une guerre, tellement tout est décati; on se croirait à Mossoul… Souvenez-vous du slogan « The whole

world is watching » que scandaient les manifestan­ts américains en 1968. Eh bien, c’est un peu ça qui se passe à Cuba! Le monde entier regarde, maintenant. Et quand il y a de la visite, c’est toujours là qu’on ressent le besoin de faire le ménage. Autres nouveautés: le tourisme historique. Près de Holguin, un circuit s’arrête à Biran, où la famille Castro a vécu, sans oublier des arrêts dans la Sierra Madre, où se trouve le refuge de Fidel et du Che pendant leur guérilla contre Batista. À Santiago, on peut visiter la Casa de Moncada, où Fidel entreprit sa première et fatale bataille contre le pouvoir du temps… qui fut pour lui un terrible échec, puisque les deux tiers de ses hommes sont morts, et que lui-même s’est retrouvé prisonnier. Bref, l’industrie touristiqu­e cubaine atteint un nouveau stade de maturité. Il est temps que la dictature, qui a des yeux étrangers pour la juger, se relâche un peu… quoique – je le souhaite – sans se laisser faire par les Américains.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada