Le Journal de Quebec - Weekend
ÉCRIRE ET PRENDRE SA PLACE
Louise Forestier a commencé par écrire des chansons dans son coin, « en silence ». On est à la fin des années 60 et « si t’étais une fille, t’écrivais pas : t’interprétais ».
Mais à voir se lancer « le moindre ti-cul qui arrivait avec des cheveux longs et une barbe et qui zigounait sur sa guitare, ça m’a provoquée. Je me suis dit que j’étais capable d’en faire autant ». Elle profite de L’Osstidcho pour oser chanter certaines de ses compositions.
« Je mourrais de peur, c’était épouvantablement difficile pour moi, mais je l’ai fait. Et j’ai continué, et j’ai jamais lâché. »
Dès son deuxième disque, en 1969, elle place quatre de ses chansons. Au fil des albums, ses compositions finiront par prendre presque toute la place. Une telle affirmation féminine était rare alors, et la reconnaissance encore plus.
« Quand on parlait de cette époque-là, on ne me mentionnait pas. Je me suis souvent dit : “Ah, mon nom est pas là ; ah,
tel auteur est là mais pas moi ; ah, un disque ‘hommage à’ et j’suis pas là…” »
Elle fait une pause, reprend : « T’sais, moi, les Cinq Grands, je l’ai pas encore avalé. » Elle fait référence au spectacle Une fois
cinq, organisé pour la Saint-Jean de 1976 à Québec d’abord, puis à Montréal, et qui réunissait Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Claude Léveillé, Yvon Deschamps et Jean-Pierre Ferland. Elle n’en revient toujours pas : où étaient Monique Leyrac et Pauline Julien qui, dans les années 60, avaient par leur voix mis au monde les auteurs québécois ? Et elle-même qui, avec ses compositions, mettait au monde la voix des femmes ? « Mais on ne faisait pas partie de ça, les filles… »
Elle, elle défonce les portes. « Dans le milieu, on disait : “Elle a tellement un gros ego !” Mais derrière ça, il y avait la p’tite fille élevée chez les soeurs et qui avait tellement peur de déplaire ! Je les ai toutes eues les craintes féminines standard : j’ai eu peur de perdre mes musiciens, peur de perdre mes chums… C’était dur de garder cette image de guerrière sans avoir l’air enragée. Dans mon esprit, je voulais juste prendre
ma place. »
Peu à peu, même si elle chante aussi des paroles des autres (ainsi de Prince Arthur signée de Pierre Flynn en 1983), son écriture est remarquée.
En 1978, à 35 ans, elle lance la chanson La saisie qui à ce jour l’identifie encore complètement : « Ne touchez pas à mon piano… » En 1987, Le diable avait ses yeux lui vaut le Félix d’auteur-compositeur de l’année. L’album Éphémère qu’elle fait avec son fils Alexis en 2008 reçoit le prix de l’Académie Charles-Cros pour la francophonie. La chanson 1500 miles qu’elle écrit avec Daniel Lavoie pour Éric Lapointe reçoit un prix de la SOCAN (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) en 2009. Il y eut d’autres récompenses encore, comme le prix Lucille-Dumont pour l’ensemble de sa carrière en 2008.
Tout ce parcours lui fait parfaitement comprendre la sortie, en juin dernier, des musiciennes qui dénonçaient leur trop faible présence dans les festivals. Mais la dénonciation faite, il s’agit maintenant de bouger : « Appelle ton gérant : “As-tu appelé les festivals pour l’été prochain ? Qu’est-ce qui va se passer ? Mets-moi dessus ici, pis ici. Je veux être là.” Moi mon gérant, ça me gênait pas de l’appeler. Je callais les shots ! Sinon, fuck
it les filles, y se passera rien… »