Le Journal de Quebec - Weekend

CELLE QUI sait tout faire

« QUAND TU FAIS JUSTE CHANTER, ÇA DOIT ÊTRE TERRIBLE QUAND TU VOIS QUE T’ES MOINS APPELÉE, QUE TU VIEILLIS »

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Toute jeune, Louise Forestier avait hésité : ferait-elle les Beaux-Arts ou l’École nationale de théâtre ? Le théâtre l’a emportée, mais ce sera la chanson qui l’aura finalement happée.

La scène, les disques, les tournées au Québec, au Canada, en France, en Pologne, en Russie…, elle s’est dépensée sans compter (« Qu’est-ce qu’on fait sur une scène ? On donne, sinon on reste à la maison ! »). Mais, dit-elle aujourd’hui, c’est sa polyvalenc­e qui l’a sauvée. « Quand tu fais juste chanter, ça doit être terrible quand tu vois que t’es moins appelée, que tu vieillis : le bar va fermer, last call ! J’ai vécu ça, mais c’était correct parce que je m’occupais autrement. »

PLUSIEURS FORMES

Cet autrement a eu plusieurs formes. Il y a eu les comédies musicales : outre

Demain matin…, elle a joué la serveuse automate dans la première version québécoise de Starmania ; la mère du poète dans Nelligan ; la soeur d’Emma Lajeunesse dans Le pays dans la gorge. À quoi il faut ajouter les Bye-Bye : après celui de 1970, il y aura ceux de 1978, 1979, 1980.

Après IXE-13 et Les ordres, on la revoit un peu au cinéma, notamment dans La Postière de Gilles Carle et dans Deux secondes de Manon Briand. Sans oublier les téléromans : Les dames de coeur,

Réseaux, Paparazzi, et le premier rôle féminin dans Le Négociateu­r qui lui a valu un Gémeaux en 2007. « Là, je me suis dit : “Bon, ça y est, le téléphone va sonner !” J’ai eu zéro appel. »

Pas grave, elle s’est découvert une autre passion. Après avoir touché à l’animation télé dans les décennies 80 et 90 ( Station-Soleil à Radio-Québec, des séries sur la musique), elle devient chroniqueu­se à la radio de Radio-Canada au début des années 2000. En 2012 et pendant deux ans, elle fait de même à la télévision pour l’émission Alors on jase, animée par Élyse Marquis et Joël Legendre. « J’ai adoré ça ! », s’enthousias­me-t-elle encore.

Les pauses, au fond, auront été rares dans sa carrière : « J’ouvre mes agendas, je regarde ça et je me dis : “Môman, comment j’ai fait ???” C’est le zona qui a tout arrêté. » À 67 ans, alors qu’elle menait de front radio, télé et spectacles tirés de l’album Éphémère, elle se lève un matin avec des douleurs telles qu’elle est convaincue de faire un AVC. C’est plutôt un zona, maladie méconnue qui la laissera clouée au lit pendant deux semaines. Alors quand elle apprend qu’une compagnie pharmaceut­ique se cherche un porte-parole pour promouvoir la vaccinatio­n contre le zona, elle répond « présente » même si « c’est une maladie pas sexy pantoute ! ».

Et la voilà lancée dans des tournées de pharmacie ! Elle fera trois tournées du genre, dont une l’an dernier, et y retournera­it sans problème : « Ce qui m’intéresse dans la vie, c’est un vrai contact. Je suis proche des gens et ils le savent. En même temps, ils ne sont pas tentés de me toucher, comme si j’étais une star dont on découpe un petit morceau de sa robe et qu’on perd connaissan­ce. Ça, j’aurais haïïïï ça !!! »

L’AMOUR ET L’ARGENT

Louise Forestier protège sa vie privée, et pourtant elle en a partagé les moments les plus difficiles avec le public. Sa chanson La saisie mettait à nu la fragilité financière des artistes, la sienne comme celle des autres. Écrite dans les années 70, elle reste d’actualité.

« La situation des artistes a toujours été très, très précaire, surtout ici avec les droits d’auteur qui étaient à peine respectés, et qui maintenant le sont encore moins. C’est terrible de nos jours. Mais les jeunes ont des armes que moi je n’ai plus. Ils se débrouille­nt. Mais ils vivent pas riches, et les belles années, c’est plus 10-15 ans, c’est cinq ans. Une carrière comme la mienne, c’est à peu près impossible maintenant. »

Elle vit donc bien aujourd’hui, dans son appartemen­t lumineux du PlateauMon­t-Royal ? « Tout ce que j’ai, c’est ça ! Et c’est pas fini de payer : j’ai une hypothèque parce que j’ai pas pu acheter ma première maison avant 59 ans… Et c’est grâce à Isabelle Boulay. Elle a chanté Jamais assez loin, que j’ai écrite avec Zachary Richard, sur Mieux qu’ici

bas et elle a vendu un million et demi d’albums en Europe ! Merci Isabelle ! Mais maintenant, plus personne vend comme ça… »

C’est pourquoi La saisie, avec son piano à protéger, a traversé le temps et qu’elle l’a toujours chantée : « Cette chanson-là c’est comme ma doudou : je la traîne partout, elle ramasse la poussière de la vie, les taches de sang, les flaques d’eau, le sable des plages… »

Et la vie, parfois, a été lourde à porter. Louise Forestier ne s’en est pas cachée : elle a fait deux dépression­s, dont une majeure au début des années 90. Elle a d’ailleurs participé au documentai­re La

dépression à tue-tête, d’Hélène Magny, diffusé l’an dernier. Elle a tenu à s’en sortir sans médica- ments, avec l’aide d’une neuropsych­ologue, histoire de ne pas engourdir le mal, mais de lui faire face. Mais ç’a été toute une épreuve : « C’était horrible. Horrible ! Si j’avais pas eu mon fils Alexis, je pense que je serais passée par-dessus la rampe. »

Famille dépressive, fatigue, ménopause, peine d’amour, tout se mélangeait. L’amour notamment lui a joué bien des tours, à elle, la femme si forte d’apparence : « Dans ma tête, j’étais d’un romantisme très 19e siècle. C’était pas possible de vivre mes histoires, j’étais trop exaltée. Je me suis battue de l’intérieur ! Alors la première parole que j’ai dite en thérapie c’est : “Madame, je suis deux et je voudrais être une, parce que là, je suis ben fatiguée !” »

Et maintenant, est-elle bel et bien « une » ? « Oui, et j’aimerais ça rencontrer “un” ! » Elle rit, les yeux pétillants, mais prévient : « Mais un fan fini, ça ne m’intéresse pas. Et je veux pas vivre le quotidien avec quelqu’un. Comme disait Virginia [Woolfe], à chacun sa chambre. À chacun son espace. »

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