Le Journal de Quebec - Weekend
D’UN GRAND FILM
Steven Spielberg est fasciné par les extraterrestres depuis son enfance. Ce n’est donc pas un hasard s’il livre Rencontres du troisième type, en 1977, comme troisième long métrage cinématographique de sa carrière. Classique désormais incontournable d’une
Steven Spielberg n’a que 18 ans lorsqu’il présente Firelight, long métrage traitant d’étranges disparitions d’animaux, d’objets et d’humains (en fait, des enlèvements commis par des extraterrestres). Il sort le film au budget de 500 $ dans une salle locale et fait… un dollar de profit ! Et le sujet lui reste en tête. « J’ai toujours cru à l’existence [des ovnis], les descriptions faites par les témoins se ressemblent trop. C’était avant que les médias s’en emparent et que le sujet devienne un passe-temps culturel, une religion alternative », explique-t-il des années plus tard en entrevue. GENTIL REQUIN Pendant la postproduction de The
Sugarland Express (1974), il signe une entente pour réaliser un film de science-fiction avec les studios Columbia et commence à travailler sur le concept. Il pense d’abord à un long métrage à petit budget ou à un documentaire et l’intitule Watch the Skies. Mais Les dents de la mer commence à l’occuper et après son succès, Columbia lui accorde le droit de tourner le film qu’il veut. Or, le scénario qui lui est proposé ne lui plaît pas, puisqu’il n’inclut aucun ovni.
Il décide alors de prendre les choses en main et s’inspire des émotions que génère, chez lui, la chanson When
You Wish upon a Star ( Quand on prie la bonne étoile) de Pinocchio. Il s’adjoint aussi les services de Jerry Belson – qui ne sera pas au générique – pour peaufiner le scénario renommé
Rencontres du troisième type, d’après l’échelle développée par J. Allen Hynek, spécialiste des ovnis pour la US Air Force et consultant embauché par Spielberg. « Je voulais également inclure un élément de conspiration, rappelant le Watergate », souligne le cinéaste.
Il ne prononce jamais le mot « science-fiction » pour décrire le projet, préférant le terme « spéculation scientifique », même s’il avoue aujourd’hui être un peu plus « sceptique » qu’à l’époque quant à l’existence des ovnis. Car, en choisissant un sujet aussi obscur qu’une rencontre avec des extraterrestres sur Terre, il joue sa carrière ; Star Wars n’étant pas encore sorti et la science-fiction n’étant pas un genre prisé du grand public ! « SKY’S THE LIMIT ! »
Il choisit Richard Dreyfuss, son complice des Dents de la mer pour incarner Roy. « Ils étaient tous de grands enfants, dit-il de ses acteurs. Même François Truffaut a toujours eu un coeur d’enfant. Il a été mon premier choix […] Pour les militaires, j’ai choisi des acteurs plus cyniques, plus marqués par la rudesse de la vie. Pour le reste… nous avons tous fait ce film comme des enfants, en croyant en des choses qui ne sont pas logiques, auxquelles seuls les enfants croient, puisqu’ils n’ont pas besoin de logique. »
Au départ, Spielberg évalue le budget de son film à 2,7 millions $, mais la facture monte rapidement entre les tournages sur les lieux, notamment en Inde, la construction de maquettes, etc. Ce sont les effets spéciaux qui font grimper la note, puisque la somme dont dispose Douglas Trumbull, le responsable des effets visuels ( 2001,
Odyssée de l’espace), est de 3,3 millions $ ! Le cinéaste ne se décourage pas… pas plus que Columbia, en difficulté financière à ce moment. « J’avais une idée très précise de ce que je voulais en terme visuel, même si je ne savais pas l’exprimer. J’étais fasciné par la manière dont la lumière “tappe” la lentille d’une caméra, ce cercle créé autour de l’objet », détaille-t-il.
Steven Spielberg termine la postproduction en juin 1977, soit 13 mois après le début du tournage… et trop tard pour faire de Rencontres du
troisième type une superproduction estivale, place prise par Star Wars ! La sortie est fixée à novembre et le succès est immédiatement au rendez-vous, Ray Bradbury déclarant même qu’il s’agit là du meilleur film de science-fiction. Depuis, les techniques utilisées par Douglas Trumbull, qui n’ont pas pris une ride, ont durablement influencé l’industrie ci- nématographique. Et, en 1990, quand Steven Spielberg se fait demander de résumer sa carrière en une seule image de l’un de ses films, il répond sans hésitation que c’est celle de Barry, le petit garçon, ouvrant la porte de sa maison pour voir l’ovni. « Cette magnifique, mais terrible lumière, comme du feu passant à travers la porte. Barry est tout petit et c’est une très grande porte, mais il y a énormément d’espoir ou de danger après le pas de la porte. »