Le Journal de Quebec - Weekend

ELLE DÉCOUVRE QU’ELLE EST ADOPTÉE

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[…] l’intuition d’avoir été adoptée me taraude depuis longtemps. Chaque fois que je réclame mon extrait de baptême, mes parents trouvent un prétexte pour se défiler.

En tant qu’enfant unique, je me sens différente aussi bien à l’école que dans la rue Cartier, où toutes les maisons voisines abritent des familles nombreuses.

Un après-midi, décidée à en avoir le coeur net, je fouille dans les boîtes où maman conserve les papiers importants et je tombe sur un avis de décès de

La Presse : « À Montréal, le 4 juin 1931, est décédée Evelyne Labonté […]. Elle laisse dans le deuil son époux, Lucien Lapointe, typographe à La

Presse, ainsi qu’une petite fille, Denise. » Pas besoin d’être Sherlock Holmes pour comprendre que la « petite fille, Denise » en question, c’est moi. […]

On ne parle pas de ces choses-là, mes parents m’ont caché ça, voulant me préserver du regard qu’on porte sur les enfants nés de parents inconnus ou de filles-mères bannies de leur foyer et jetées à la rue.

Je me garde de parler de ma découverte pour ne pas leur faire de peine. Ils ont appris bien plus tard que je connaissai­s ma véritable identité depuis l’adolescenc­e.

Au lendemain de mon enquête, je me confie à ma cousine Jeannot, au fait de toutes les histoires de famille, et elle me révèle que mon père biologique, Lucien Lapointe, a épousé en secondes noces la tante de ma mère biologique, Evelyne Labonté. Ils ont eu cinq filles dont Hélène, l’aînée.

Tout le reste de l’année scolaire, je garde le même comporteme­nt envers ma demi-soeur. Une certaine timidité, mêlée de pudeur, m’empêche d’aborder le sujet.

Des années plus tard, Hélène me téléphone pour m’annoncer qu’elle viendra me voir chanter le samedi suivant au Continenta­l avec ses parents.

Je vais donc rencontrer mon père biologique pour la première fois. Étonnée de ne ressentir aucune émotion particuliè­re, je suis un peu embarrassé­e quand même et m’interroge sur la façon d’agir avec lui. Qu’est-ce que je vais lui dire ? Après tout, il m’a abandonnée ! Il n’avait que vingt et un ans. Je dois sans doute lui pardonner et… Et merci, mon Dieu, de lui avoir donné l’idée de me laisser chez Yvonne Parent et Armand Filiatraul­t. Jamais je n’aurais pu rêver de meilleurs parents adoptifs.

Le moment venu, la rencontre se déroule bien et, comme je l’ai appréhendé, je fais face à un parfait étranger. Heureuseme­nt, l’heure du spectacle me sort de cette situation troublante.

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