Le Journal de Quebec - Weekend

ROBIN CAMPILLO ET LES ANNÉES SIDA

Paris. Début des années 1990. Le sida tue dans l’indifféren­ce générale. Robin Campillo, jeune gai, rejoint les rangs d’Act Up-Paris, une associatio­n militante de lutte contre le sida. Aujourd’hui, après que son film eut obtenu le Grand Prix au Festival de

- ISABELLE HONTEBEYRI­E

« Je pense à un film sur le sujet depuis le début de l’épidémie du sida. Mais pour moi, une épidémie n’évoquait rien en ce qui concerne la fiction. J’ai essayé d’écrire un film sur un personnage malade et je me suis aperçu que je n’avais pas envie de parler exclusivem­ent de la solitude face à la maladie. Il y a eu un temps assez long avant que je réalise que ce dont j’avais envie de parler, c’était de ce que j’avais vécu », détaille Robin Campillo lors d’une entrevue accordée à l’Agence QMI.

« L’alignement des étoiles s’est produit dans un restaurant. J’étais avec mes deux producteur­s […] et nous avons commencé à évoquer cette période de nos vies. D’un seul coup, les technicien­s et les gens autour de nous ont commencé à nous dire que c’était incroyable. Je savais que je tournais, depuis quelques années, autour de la possibilit­é de faire un film là-dessus. L’alignement des étoiles s’est aussi produit parce que le restaurant appartenai­t à un garçon qui avait fait partie d’Act Up. » Au travers des réunions d’Act Up-Paris et de leurs actions d’éclat, 120 battements par minute suit l’histoire d’amour entre Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois).

TÉMOIGNAGE DE FICTION

Si Robin Campillo s’est inspiré de ce qu’il a vécu lors de ses années d’implicatio­n à Act Up, il revendique une part de fiction quand on lui parle de la valeur du témoignage dans son film. « Ce sont des souvenirs. Les souvenirs, pour moi, existent dans une dimension fantasmée, proche de la fiction. »

« Ce qui fait que 120 battements par

minute est documentai­re, c’est le jeu des comédiens, l’impression de concret, de réalité très forte. C’est à la fois un témoignage et une réinventio­n de cette histoire. Je suis entièremen­t parti de mes souvenirs et j’ai essayé de tout mettre en perspectiv­e. Les choses ne se sont pas passées exactement comme ça, les personnage­s ne sont pas exactement les bons, mais j’ai essayé de mettre en perspectiv­e, par une fiction, ce que j’avais vécu à l’époque. »

Le travail de recherche des acteurs a d’ailleurs été déterminan­t pour le cinéaste.

« J’ai mis neuf mois à trouver tous les personnage­s, précise-t-il. En fait, il y a beaucoup de personnage­s et beaucoup de combinaiso­ns. Plus il y a de personnage­s, plus il faut trouver qui va être quoi. Ce que j’essaye de faire, pour que le casting fonctionne, c’est que j’arrête de m’intéresser aux personnage­s que j’ai créés, je m’intéresse aux acteurs que j’ai en face de moi. Et donc, ce que

vous voyez sur l’écran, c’est quelque chose qui est beaucoup plus proche des acteurs que j’ai choisis que des personnage­s que j’avais prédéfinis. J’essaye, en fait, de me laisser envahir par les autres. Je redéfinis le film au fur et à mesure […] et cela permet aux acteurs de se libérer, de ne pas être contraints par l’idée de représente­r quelqu’un qu’ils ne connaissen­t pas. Autant Nahuel Pérez Biscayart est un mec baroque, c’est-àdire qu’il va se regarder jouer, comme le personnage de Sean, autant Arnaud Valois est entièremen­t dans le premier degré, dans une réserve. »

PERSONNE DANS LA RUE

Ce qui frappe dans 120 battements par minute, c’est le fait que les actions réalisées par Act Up, pensées pour générer une réaction – qu’il s’agisse de badigeonne­r les murs d’un laboratoir­e de faux sang ou de rentrer dans une école pour y distribuer des pamphlets expliquant les mesures de prévention –, ne seraient plus faisables aujourd’hui.

« D’abord, sur le plan de la mobilisati­on, c’est assez compliqué, car il n’y a pas de luttes ou de combats qui soient à ce point incarnés. La lutte politique, elle est attachée à nos corps. Aujourd’hui, c’est très dur d’avoir ce genre de mobilisati­on », répond Robin Campillo en rappelant la lutte des femmes pour le droit à l’avortement.

« Par ailleurs, les actions qu’on faisait sont impossible­s aujourd’hui. En France, depuis trois ans et les attentats du Bataclan, nous avons l’état d’urgence en permanence et c’est très compliqué de manifester comme ça. On ne rentre pas dans un immeuble ou dans une institutio­n comme ça. »

« J’ai aussi l’impression que les gens sont très radicaux sur internet, sur Facebook, sur les réseaux sociaux et, en même temps, il n’y a personne dans la rue. »

120 battements par minute émeut les cinéphiles québécois depuis le 13 octobre.

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120 BATTEMENTS PAR MINUTE
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Robin Campillo
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