Le Journal de Quebec - Weekend
ROBIN CAMPILLO ET LES ANNÉES SIDA
Paris. Début des années 1990. Le sida tue dans l’indifférence générale. Robin Campillo, jeune gai, rejoint les rangs d’Act Up-Paris, une association militante de lutte contre le sida. Aujourd’hui, après que son film eut obtenu le Grand Prix au Festival de
« Je pense à un film sur le sujet depuis le début de l’épidémie du sida. Mais pour moi, une épidémie n’évoquait rien en ce qui concerne la fiction. J’ai essayé d’écrire un film sur un personnage malade et je me suis aperçu que je n’avais pas envie de parler exclusivement de la solitude face à la maladie. Il y a eu un temps assez long avant que je réalise que ce dont j’avais envie de parler, c’était de ce que j’avais vécu », détaille Robin Campillo lors d’une entrevue accordée à l’Agence QMI.
« L’alignement des étoiles s’est produit dans un restaurant. J’étais avec mes deux producteurs […] et nous avons commencé à évoquer cette période de nos vies. D’un seul coup, les techniciens et les gens autour de nous ont commencé à nous dire que c’était incroyable. Je savais que je tournais, depuis quelques années, autour de la possibilité de faire un film là-dessus. L’alignement des étoiles s’est aussi produit parce que le restaurant appartenait à un garçon qui avait fait partie d’Act Up. » Au travers des réunions d’Act Up-Paris et de leurs actions d’éclat, 120 battements par minute suit l’histoire d’amour entre Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois).
TÉMOIGNAGE DE FICTION
Si Robin Campillo s’est inspiré de ce qu’il a vécu lors de ses années d’implication à Act Up, il revendique une part de fiction quand on lui parle de la valeur du témoignage dans son film. « Ce sont des souvenirs. Les souvenirs, pour moi, existent dans une dimension fantasmée, proche de la fiction. »
« Ce qui fait que 120 battements par
minute est documentaire, c’est le jeu des comédiens, l’impression de concret, de réalité très forte. C’est à la fois un témoignage et une réinvention de cette histoire. Je suis entièrement parti de mes souvenirs et j’ai essayé de tout mettre en perspective. Les choses ne se sont pas passées exactement comme ça, les personnages ne sont pas exactement les bons, mais j’ai essayé de mettre en perspective, par une fiction, ce que j’avais vécu à l’époque. »
Le travail de recherche des acteurs a d’ailleurs été déterminant pour le cinéaste.
« J’ai mis neuf mois à trouver tous les personnages, précise-t-il. En fait, il y a beaucoup de personnages et beaucoup de combinaisons. Plus il y a de personnages, plus il faut trouver qui va être quoi. Ce que j’essaye de faire, pour que le casting fonctionne, c’est que j’arrête de m’intéresser aux personnages que j’ai créés, je m’intéresse aux acteurs que j’ai en face de moi. Et donc, ce que
vous voyez sur l’écran, c’est quelque chose qui est beaucoup plus proche des acteurs que j’ai choisis que des personnages que j’avais prédéfinis. J’essaye, en fait, de me laisser envahir par les autres. Je redéfinis le film au fur et à mesure […] et cela permet aux acteurs de se libérer, de ne pas être contraints par l’idée de représenter quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Autant Nahuel Pérez Biscayart est un mec baroque, c’est-àdire qu’il va se regarder jouer, comme le personnage de Sean, autant Arnaud Valois est entièrement dans le premier degré, dans une réserve. »
PERSONNE DANS LA RUE
Ce qui frappe dans 120 battements par minute, c’est le fait que les actions réalisées par Act Up, pensées pour générer une réaction – qu’il s’agisse de badigeonner les murs d’un laboratoire de faux sang ou de rentrer dans une école pour y distribuer des pamphlets expliquant les mesures de prévention –, ne seraient plus faisables aujourd’hui.
« D’abord, sur le plan de la mobilisation, c’est assez compliqué, car il n’y a pas de luttes ou de combats qui soient à ce point incarnés. La lutte politique, elle est attachée à nos corps. Aujourd’hui, c’est très dur d’avoir ce genre de mobilisation », répond Robin Campillo en rappelant la lutte des femmes pour le droit à l’avortement.
« Par ailleurs, les actions qu’on faisait sont impossibles aujourd’hui. En France, depuis trois ans et les attentats du Bataclan, nous avons l’état d’urgence en permanence et c’est très compliqué de manifester comme ça. On ne rentre pas dans un immeuble ou dans une institution comme ça. »
« J’ai aussi l’impression que les gens sont très radicaux sur internet, sur Facebook, sur les réseaux sociaux et, en même temps, il n’y a personne dans la rue. »
120 battements par minute émeut les cinéphiles québécois depuis le 13 octobre.