Le Journal de Quebec - Weekend

LA FASCINATIO­N DU POUVOIR

- JOSÉE BOILEAU

On entre avec précaution dans Libre-échange. Une affaire de style un peu trop empesé et de ton un peu trop détaché. Mais on est intrigué par l’homme qui nous parle – influent numéro deux dans un monde de puissants –, de quoi inciter à le suivre.

Le narrateur, Alan Schwartz, est en effet « administra­teur en chef de Beta Gold, fleuron de notre industrie minière […], première compagnie minière mondiale, première multinatio­nale du pays ». Homme riche, son absence de tout souci matériel n’a d’équivalent que son absence de vie privée. Car son rôle, c’est de servir, d’être disponible en tout temps, partout sur la planète. Bref, d’être l’ombre du président. Quel qu’il soit.

CONCURRENC­E

Dès le début du roman, il y a chan- gement à la présidence. Schwartz est maintenu dans ses fonctions, sauf que son nouveau patron arrive avec deux acolytes. L’indispensa­ble numéro deux, et qui tient à le rester !

Se déploiera dès lors toute la complexité des jeux de coulisses, où se mêlent commandes politiques, corruption et stratégies pour détourner les enquêtes policières, et où la partie se gagne quand on est celui ou celle qui tire les ficelles. Pour y arriver, il faut être implacable, ne manifester aucune faiblesse, ne s’apitoyer sur personne, et surtout pas sur soi-même.

C’est ainsi, à mesure que l’on avance dans le récit, que le ton détaché, distant – voire précieux – du livre trouve toute sa justificat­ion. Il nous amène à être de plus en plus hypnotisés par la joute cruelle qui se déroule sous nos yeux, au 50e étage d’un immeuble du centre-ville de Toronto, comme dans l’avion privé qui promène le quatuor infernal entre le Canada et le Venezuela, où l’entreprise canadienne manoeuvre pour obtenir les droits exclusifs sur l’exploitati­on des mines.

MULTINATIO­NALES

Quiconque s’est documenté sur l’attrait absolu du pouvoir chez certains ou sur les agissement­s des directions de multinatio­nales, sera accroché par ce roman. Il donne chair aux reportages et aux travaux de chercheurs qui, de temps en temps, font voir la manipulati­on commercial­e et politique à laquelle se livrent de très grandes entreprise­s, notamment dans le domaine des ressources naturelles.

Cette manipulati­on a son pendant interne, les nombreuses guerres au sommet. Nulle amitié entre collègues, car chacun a son intérêt personnel à préserver. Et personne ne s’en plaint ; dans ces hautes sphères, l’émotivité est une bassesse qu’il serait fou de revendique­r !

On ne sera pas surpris d’apprendre que l’auteur, Éric de Belleval, a luimême été à la tête d’entreprise­s et qu’il a déjà dirigé la fondation de l’imposant groupe pétrolier français Elf. L’univers des compagnies qui sont, en partie, liées au monde politique partout dans le monde et qui, ainsi, en arrivent à imposer leur loi, ne lui est donc pas étranger.

Ceci redouble l’intérêt pour son roman et en accentue l’inconforta­ble fascinatio­n qu’il exerce sur nous, simple lectorat que tous ces gens accros au pouvoir ignorent superbemen­t.

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LIBRE-ÉCHANGE Éric de Belleval Les Éditions Sémaphore 185 pages
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