Le Journal de Quebec - Weekend

OSER ÊTRE LIBRE, OSER ÊTRE VRAI, OSER VIVRE

Alexandre Jardin signe un roman jubilatoir­e, criant l’urgence de vivre et d’être vrai, dans lequel il rend hommage à une maman extraordin­airement libre, hors normes, Ma mère avait raison.

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Alexandre Jardin, en bon zèbre qu’il est, jubile. Il avait parlé du bizarre et merveilleu­x clan Jardin dans Le roman des Jardin, d’un grand-père sombre dans Des gens très bien, d’un père fantasque qui ignorait la peur dans Le Zubial. Et cette fois, c’est de sa maman Fanou qu’il parle. Une femme entière qui s’est autorisée à être complèteme­nt elle-même, à faire fi des convention­s, à vivre ses désirs à fond.

Sa mère ose tout, vivra avec quatre hommes en même temps, les rassemblan­t autour d’une table qu’ils auront tous construite... lancera un manuscrit de son fils dans le feu... enverra ses enfants marcher sur des braises... leur montrera ce que c’est que d’être libre. Tant pis pour les « normaux ».

Ce qu’il raconte est extravagan­t, drôle, émouvant, étrange. Il est question de crâne de fakir, d’un bison livré par une grue, de soirées en famille (élargie), de jalousie entre amants, de la vie d’une femme de légende, d’une héroïne née. Incroyable ? Pas chez les Jardin ! « Comme on est dans un monde où tout est bizarre... », réplique-t-il. « Imaginons que ce n’est pas possible, par exemple, chez Macron... mais chez nous, c’est possible ! », pouffe-t-il.

« L’énorme appétit de vie de ces gens, aujourd’hui on ne sait même plus ce que c’est, parce que tout le monde a peur de tout », note-t-il. « Sortir un livre pareil, dans notre époque où tout le monde a peur de tout, où il y a des hashtags partout pour vous dénoncer, on a complèteme­nt changé d’époque. Cette peur de vivre est telle que je suis stupéfait que mon livre marche ! »

« ENFANCE EXTRAORDIN­AIRE »

En France, ajoute-t-il, les gens n’ont pas décidé de juger Fanou, mais les questions fusent. « Le nombre de gens qui sont arrivés, depuis la sortie en France, qui viennent me voir et qui me disent “ça n’a pas été trop dur ?” Je leur dis “mais vous êtes fou ! Moi, j’ai eu une enfance extraor- dinaire ! Ce qui est dur, c’est d’avoir une mère qui ne vit pas ! C’est terrible d’avoir une mère qui a peur de vivre !” »

Sa mère a aujourd’hui 81 ans et n’est pas trop en forme, explique Alexandre Jardin, avant d’ajouter qu’elle est devenue... thérapeute. « Elle est exactement comme vous... sauf qu’elle n’a pas peur », explique-t-il lorsqu’on lui demande de la présenter. « Elle incarne un grand sujet : la possibilit­é d’être absolument soi, de ne pas négocier avec son désir. »

Qu’est-ce qui l’a rendue aussi libre ? « Une confiance illimitée. Si vous n’acceptez pas de sauter dans le vide, vos ailes ne poussent pas. Lorsqu’elle a foutu au feu le manuscrit de mon livre... Mais

Le Zèbre ne serait jamais venu au monde si elle ne lui avait pas fait de la place ! Quand on vit en sécurité, on est déjà mort. Parce qu’on ne laisse pas l’espace pour que le meilleur arrive. »

ABSENCE DE PEUR

Toutes sortes de péripéties joyeuses ont suivi la publicatio­n du livre, en France. Dans un café de Montparnas­se, une passante lui écrit : « Je viens de finir votre livre sur votre mère. Je vais aller le déposer sur la tombe de la mienne. Et j’ai écrit dessus : “Toi, tu n’as pas osé vivre, moi j’oserai”. »

Alexandre Jardin a-t-il hérité d’elle cette formidable absence de peur ? « Oui, très clairement. Ça ne m’intéresse pas. Vraiment, ça n’a pas d’intérêt. [...] Le risque que nous courons en faisant semblant d’exister est terrifiant. »

 ??  ??
 ??  ?? MA MÈRE AVAIT RAISON Alexandre Jardin Éditions Grasset 212 pages
MA MÈRE AVAIT RAISON Alexandre Jardin Éditions Grasset 212 pages

Newspapers in French

Newspapers from Canada