Le Journal de Quebec - Weekend

CINQUANTE ANNÉES DANS UN VILLAGE

- MARIE-FRANCE BORNAIS Le Journal de Québec

Avec une plume riche et colorée, la romancière québécoise d’origine hongroise Éva Böröcz raconte cinquante années dans la vie d’un petit village hongrois, avec ses espoirs et ses tourments, ses personnage­s plus grands que nature et son folklore, dans son nouveau roman, Rozmaring.

Allant d’une guerre à l’autre, le petit village et ses habitants s’accrochent à la vie : Lydia, la femme forte, tient tête à tous les hommes des alentours, Zoltan le nain, Günter l’errant venu d’Allemagne avec son chien pour fuir le nazisme, Viléz l’orphelin, Vilma la géante.

Éva Böröcz, écrivaine de talent, a puisé dans ses souvenirs pour écrire ce beau roman qui fait honneur à ses racines. « Ça fait longtemps que je voulais raconter l’histoire de mon enfance. C’est nullement une autobiogra­phie, mais ce qui est vrai, c’est le village. L’histoire se passe dans un tout petit village reculé, de 1900 à 1950, durant ces deux terribles guerres », explique-t-elle en entrevue. « Cette histoire est ensachée dans la grande Histoire : toutes les dates qui sont dans le livre sont exactes », poursuit-elle.

Les lecteurs québécois n’ont pas souvent la chance de lire des romans racontant une histoire s’étant déroulée en Hongrie. « Surtout pas celle d’un village », renchérit Éva. « Pendant les guerres, on parle beaucoup des batailles, mais on ne parle pas de la souffrance des gens dans les villages. C’est ce que je voulais décrire. »

Éva Böröcz garde plusieurs souvenirs de la période où elle a vécu en Hongrie. « Quand on écrit un roman, il y a toujours un peu de nous-mêmes... mais ce sont des personnage­s inventés. Je me souviens de la Deuxième Guerre mondiale : je suis née en 1938, et en 1945, j’avais sept ans. Je me rappelle très bien de la fin de la guerre. Rozmaring – qui veut dire romarin – est vrai. C’est là que j’ai vécu. »

LA PLACE DES CONTES

Les personnage­s sont sortis de son imaginatio­n, d’une catharsis, pense-t-elle. « Notre enfance nous marque énormément. On dirait que ça teinte toute notre vie. J’ai remarqué que plus j’avance en âge, plus loin je peux reculer dans le temps. Il y a des souvenirs qui reviennent comme un train. »

Les contes occupent une grande place dans la culture littéraire hongroise. « La tradition orale était très présente. Quand j’ai commencé à écrire, j’écrivais exclusivem­ent des contes que je me rappelais, de la Hongrie, puis j’ai écrit des nouvelles. On a beaucoup de contes et dans ces années, il n’y avait pas d’électricit­é dans les villages reculés, donc ce qui était important, c’était les rencontres chez l’un, chez l’autre. Les femmes faisaient des travaux et racontaien­t des histoires. » Raconter Roz

maring lui a fait du bien. « J’ai 79 ans. Ma tête va très bien – merci ! –, mais j’ai toujours de la douleur. J’avais un projet – et j’en ai d’autres – donc ça m’a aidée à vivre. J’avais cette histoire au fond de moi et il fallait que je fasse quelque chose avec. »

Elle compte écrire la suite. « Même si je connais moins bien la Hongrie après 1956, je suis tellement attachée à mes personnage­s que je ne peux pas les laisser tomber. Je vais les faire vivre jusqu’en 1986, jusqu’à ce que le mur de Berlin tombe. Mais je vais devoir faire des recherches parce que je vous avoue que pendant 20 ans, je ne me suis pas du tout intéressée à ce qui se passait là-bas. »

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