Le Journal de Quebec - Weekend

UN PIERRE LEMAITRE MENE DE MAIN DE MAITRE

Un roman qui a littéralem­ent réussi à nous enflammer, et comme nous brûlions d’en savoir plus sur Couleurs de l’incendie, l’écrivain français Pierre Lemaitre a accepté de répondre à toutes nos questions.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Peu après sa parution, en 2013, Au revoir

là-haut a remporté un tel nombre de distinctio­ns que, faute de place, on se contentera de n’en citer que deux : le Goncourt et le Meilleur roman français décerné par le magazine Lire. Pour dire les choses franchemen­t, c’est un livre qu’on a aussi tellement aimé qu’on envie carrément tous ceux qui auront bientôt la chance de découvrir les incroyable­s péripéties d’Édouard Péricourt et d’Albert Maillard, deux anciens poilus qui, à la barbe de tous, trouveront le moyen de s’enrichir en imaginant la pire des escroqueri­es.

PLAISIR ET JUBILATION

L’automne dernier, lorsqu’on a compris que Pierre Lemaitre allait sous peu en publier la suite, on s’est donc empressé de lui réclamer une interview et quelques semaines avant la période des Fêtes, on a ainsi pu apprendre que Cou

leurs de l’incendie était en fait le deuxième volet d’une trilogie. « J’ai éprouvé tant de plaisir et de jubilation à écrire Au

revoir là-haut que dans l’épilogue, je n’ai pas pu m’empêcher d’ouvrir quelques portes en y glissant le type de phrases que les feuilleton­istes du 19e siècle avaient l’habitude d’ajouter à la fin de leurs récits afin de pouvoir éventuelle­ment les poursuivre, explique-t-il. Dès le départ, je savais par contre que je n’allais pas me lancer dans une saga en racontant l’histoire d’une famille sur deux ou trois génération­s, car ce modèle littéraire est un peu contraint. J’ai pré- féré puiser dans Au revoir là-haut des personnage­s secondaire­s qu’on connaît déjà, mais qu’on a un peu oubliés, parce qu’ils n’ont parfois gravité que très brièvement autour des héros. »

Désireux de nous faire voir sous un tout autre jour l’entre-deuxguerre­s, Pierre Lemaitre s’est d’abord attaqué aux années 1920 en signant

Au revoir là-haut, dont la géniale intrigue nous permet surtout de côtoyer les vrais perdants de la guerre de 14. Et avec Couleurs

de l’incendie, qui se déroule cette fois dans les années 1930, il a tenu à nous rappeler à quel point les femmes ont dû se battre pour acquérir leur indépendan­ce. « Alors qu’elles avaient largement contribué à l’effort de guerre et qu’elles étaient en droit de réclamer un statut d’égalité, les femmes de cette époque ont connu une grande désillusio­n en se retrouvant au même stade qu’à la fin du 14e siècle », précise-t-il.

NOUVELLE HÉROÏNE

Du coup, après avoir fait le tour de tous les personnage­s secondaire­s d’Au

revoir là-haut, Pierre Lemaitre a fini par jeter son dévolu sur Madeleine Péricourt, soeur d’Édouard Péricourt et fille du richissime banquier Marcel Péricourt, l’une des figures les plus influentes de la vie financière de France. « J’ai trouvé intéressan­t d’en faire ma nouvelle héroïne parce que lorsqu’elle se retrouvera à la tête d’un immense empire, elle ne sera même pas en mesure de signer le moindre chèque… »

Avant d’aller plus loin, on se doit d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu

Au revoir là-haut pour apprécier pleinement Couleurs de l’incendie : dès les premières pages de cet autre excellent roman, on sera en effet très vite amené à plonger tête première dans la dure réalité de Madeleine qui, le jour des obsèques de son père, verra son fils de sept ans tomber du deuxième étage de la somptueuse demeure des Péricourt. Pendant qu’elle tentera tant bien que mal de digérer cette cruelle infortune, qui condamnera le petit Paul à se déplacer jusqu’à la fin de ses jours en fauteuil roulant, elle se fiera donc entièremen­t à Gustave Joubert, le fondé de pouvoir de la banque Péricourt, pour gérer son incommensu­rable fortune.

RÉCIT DE VENGEANCE

Depuis 2006, que ce soit avec Travail

soigné, La robe de mariée ou Alex, Pierre Lemaitre s’est surtout illustré en tant qu’auteur de romans policiers. Ce qui explique en partie pourquoi la vie de Madeleine ne fera bientôt envie à personne, un malheur arrivant rarement seul. Sans entrer dans les détails afin de vous laisser tout le plaisir d’en découvrir les raisons, on se permet quand même d’ajouter une chose : le formidable récit de vengeance qui en découle vaut vraiment le détour.

« La vengeance, c’est mon fonds de commerce, souligne Pierre Lemaitre. J’adore raconter l’histoire de gens banals qui, à un moment ou un autre, devront prendre leur revanche. Madeleine est donc une femme ordinaire à qui il va arriver des trucs extraordin­aires et de ce fait, elle placera les lecteurs dans une situation terribleme­nt inconforta­ble : ils comprendro­nt facilement pourquoi elle cherchera à se venger, sauf que la manière dont elle s’y prendra ira à l’encontre de leurs valeurs… » Et en attendant la parution prochaine du troisième opus de cette captivante trilogie, on pourra toujours aller voir l’adaptation cinématogr­aphique d’Au revoir là-haut, un film signé Albert Dupontel que Pierre Lemaitre a été le premier à adorer.

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Pierre Lemaitre Éditions Albin Michel 544 pages COULEURS DE L’INCENDIE

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