Le Journal de Quebec - Weekend

FÉMINISTE MALGRÉ ELLE

- MAXIME DEMERS Le Journal de Montréal maxime.demers @quebecorme­dia.com

On connaît La Bolduc pour ses chansons joyeuses, qui ont redonné le sourire aux travailleu­rs québécois à une époque où la province était plongée dans une crise économique difficile. Mais on connaît moins la mère de famille battante et courageuse qu’elle a été, elle qui a fait avancer la cause des femmes à sa façon. « Elle était féministe sans le savoir », déclare l’actrice Debbie Lynch-White, qui incarne le personnage mythique dans le drame biographiq­ue La Bolduc, un des films québécois les plus attendus de l’année.

Comme la plupart des gens de sa génération, Debbie Lynch-White savait peu de choses de Mary Travers, alias La Bolduc, avant de décrocher le rôle de la célèbre chanteuse. C’est en se penchant sur la vie de l’icône de la musique folkloriqu­e québécoise que l’actrice de 32 ans a découvert son parcours de battante :

« Elle a eu une carrière formidable et elle a été la première femme à partir en tournée pour donner des spectacles. Mais ce qui est fascinant, c’est qu’elle a fait tout cela par nécessité, souligne-t-elle. C’est ça qui la rend héroïque et extrêmemen­t courageuse. Elle n’est pas devenue chanteuse pour se faire applaudir par le public. Elle l’a fait pour pouvoir faire manger ses enfants. » Réalisé par François Bouvier ( Paul

à Québec), La Bolduc retrace donc le parcours de Mary Travers, cette Gaspésienn­e mère de famille pauvre et sans éducation qui a réussi à sortir sa famille de la misère en devenant une chanteuse folkloriqu­e à succès.

Le film s’attarde particuliè­rement à trois époques de sa vie : son arrivée à Montréal, sa jeunesse et sa rencontre avec son mari, ses débuts comme chanteuse dans les années 1920 et la fin des années 1930, alors qu’elle était au sommet de sa carrière, qu’elle a été victime d’un accident de voiture et qu’elle a découvert qu’elle était atteinte d’un cancer. Mary Travers est décédée en 1941 à l’âge de 46 ans.

« Elle ne l’a pas eu facile, rappelle Debbie Lynch-White. Elle a eu treize grossesses, mais il y a juste quatre de ses enfants qui ont survécu jusqu’à l’âge adulte. Son mari s’est fait arracher les dents et a été en convalesce­nce pendant des mois. Comme il n’y avait plus d’argent qui rentrait, il a fallu qu’elle monte sur scène pour chanter.

« C’était peu orthodoxe à l’époque pour une femme de faire cela et elle a dû se faire pointer du doigt. Dans ce sens, elle a été féministe sans le savoir. Elle l’a fait en étant dans l’action. Elle a été une battante qui a défoncé des portes. Mais ç’a créé des conflits et des frictions dans sa vie et sa relation avec son mari.

« Il y a d’ailleurs un grand paradoxe dans ses chansons. Elle était très catholique et elle chantait les valeurs auxquelles elle croyait, notamment que la femme devait rester dans la cuisine et s’occuper des enfants. Mais en menant sa carrière, elle faisait tout le contraire de ce qu’elle chantait. Il y a une innocence là-dedans que je trouve belle. »

Le caractère féministe du personnage de La Bolduc a été mis en lumière dans le film de François Bouvier. Le parcours de Mary Travers est même mis en parallèle avec le combat de Thérèse Casgrain qui, à la même période, militait pour le droit de vote des femmes.

« Je pense qu’elle en a fait autant que Thérèse Casgrain, sinon plus », observe Debbie Lynch-White, qui a été révélée à l’écran il y a quelques années grâce à son rôle de l’IPL Nancy Prévost dans la série Unité 9.

LA VOIX DU PEUPLE

« Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui sont militants sans le savoir dans la vie. Des gens qui brisent les barrières sans se dire qu’ils changent le monde. Ils le font pour plein de raisons différente­s, mais ils font quand même avancer la cause.

« La Bolduc, elle, chantait son quotidien. Elle a été la voix du peuple. Quand l’économie va mal, c’est souvent l’art qui redonne espoir aux gens. Le travailleu­r qui avait la vie dure, peut-être qu’après une journée de travail, il écoutait La Bolduc pour retrouver le sourire. Je pense que La Bolduc a servi à ça à son époque. Elle a voulu donner du pep et ç’a marché. »

Alors qu’il est beaucoup question ces jours-ci d’équité salariale et de parité, le film La Bolduc nous permet de constater tout le chemin parcouru pour les droits des femmes au Québec au cours des 100 dernières années. À l’époque où La Bolduc faisait carrière, les femmes mariées n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque.

« Il y a encore des portes à défoncer, admet Debbie Lynch-White. Mais je pense que c’est important de prendre un moment pour remarquer le chemin qui a été fait. Ma grand-mère était à la maison et élevait 12 enfants. C’était il n’y a pas si longtemps quand on y pense. Il reste du chemin à faire, mais il faut aussi admettre qu’on a beaucoup progressé.

« La Bolduc a été une partie du mouvement féministe qu’il y a eu après. Sans La Bolduc, je ne pourrais peut-être pas marier ma blonde aujourd’hui. Il faut être reconnaiss­ant de cela. Et il faut s’en souvenir. Je pense que c’est important pour les jeunes d’aujourd’hui de se rendre compte à quel point la vie était dure à l’époque de La Bolduc et les femmes n’avaient pas beaucoup de droits. Il y a des pas de géants qui se sont faits au Québec en très peu de temps. »

Le film La Bolduc prend l’affiche partout au Québec le 6 avril.

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