Le Journal de Quebec - Weekend
D’ÉCRIRE DES SÉRIES
On n’écrit pas un téléroman pour la télévision conventionnelle comme on écrit une série destinée à l’écoute en rafale sur des plateformes comme Club Illico et Netflix. « Ça change tout dans la structure des épisodes et de la série dans son entier », relat
Le fait qu’il n’y ait aucune pause publicitaire dans les épisodes influence la structure du texte et tout le processus d’écriture, explique Jacques Diamant ( Ruptures, Toute
la vérité), qui écrit actuellement la série Les Honorables pour Club Illico. Habituellement, un épisode est divisé en cinq blocs, où sont insérées quatre publicités.
« Il faut relancer le récit après chaque pause publicitaire à la télévision traditionnelle. Là, pour
Les Honorables, j’ai mis les punchs là où je voulais. Je n’étais pas obligé d’en avoir quatre par heure. »
« On peut se permettre une structure qui n’est pas linéaire, explique Myrianne Pavlovic, productrice et script-éditrice depuis 30 ans, pour qui les scénarios n’ont plus de secret. On peut se promener dans l’imaginaire, jouer avec le passé et le présent. Il y a des choses qui sont plus difficiles à imposer avec des pauses publicitaires. »
Les auteurs structurent quand même parfois leurs scénarios avec des pauses même si elles sont sur d’autres plateformes, car « les séries sont souvent diffusées sur une chaîne télé par la suite », nuance Christian Laurence. C’est le cas, entre autres, de Victor Lessard, de Club Illico, qui s’est retrouvé sur addikTV.
L’écoute en rafale est comme une arme à double tranchant. Le téléspectateur a autant le pouvoir d’écouter la série en une journée, qu’il peut l’abandonner très rapidement s’il n’accroche pas.
L’IMPORTANCE DES PREMIERS ÉPISODES
Les deux premiers épisodes doivent donc frapper fort. Pour Frédéric Ouellet ( Victor Lessard), « les deux premiers épisodes sont importants dans tous les cas, mais particulièrement dans ces plateformes-là, dit-il. Si le spectateur n’a pas aimé le premier épisode, il ne reviendra pas. Tandis qu’à la télé, il peut se réessayer un autre jour, une autre semaine quand il tombera sur la diffusion. »
MOINS DE RÉFÉRENCES
À la télé traditionnelle, les téléromans sont bourrés de récapitulatifs d’une semaine à l’autre, pour que le spectateur se souvienne de détails importants. Ici, c’est inutile.
« Puisque les gens écoutent les épisodes les uns à la suite des autres, on a moins besoin de faire des récapitulatifs. Souvent, dans des épisodes télé, on a des personnages qui vont répéter certaines informations pour qu’on se remette dedans parce que ça fait une semaine qu’on a vu l’épisode. Là, c’est plus comme un long film découpé en épisodes. »
« Dans la télé traditionnelle, on va faire beaucoup de rappels, car le récapitulatif en début d’épisode ne comblera pas nécessairement tous les besoins de raccorder le public avec ce qui s’est passé auparavant. (…) C’est une écriture un peu plus de type “long métrage” », décrit Myrianne Pavlovic.
VOULOIR DES RÉPONSES
Pour créer « un facteur pop corn qui va faire en sorte qu’il va être une heure du matin et qu’on va encore vouloir écouter un épisode de plus », une importance particulière est accordée à la fin des épisodes.
« Il faut aller jouer sur le sentiment du téléspectateur qui va faire en sorte qu’il va passer à l’épisode suivant », estime Christian Laurence.
« On veut piquer la curiosité, et qu’il ait envie d’avoir une réponse à une question, explique Frédéric Ouellet. On essaie de créer des questions dans sa tête pour qu’il veuille y répondre. »
UNE LIBERTÉ DE GENRE
Les séries de plateformes d’écoute en rafale ont une plus grande liberté en matière de contenu, soutient Myrianne Pavlovic.
« Les gens s’attendent, sur ces plateformes-là, à des séries totalement assumées. On veut aller assez loin, on veut captiver et étonner le public. À la télé traditionnelle, on veut une télé rassembleuse où on ne veut pas trop heurter le public. On sait qu’on entre dans les foyers de façon massive. Pour l’écriture, ça veut dire essayer de composer avec ces différentes attentes-là. »
Encore là, au Québec, on se situe entre les deux. « La réalité, c’est que si on fait une série comme on sait qu’elle va se retrouver sur addikTV ou TVA. À l’écriture, on se retrouve dans une situation où on essaie de satisfaire les attentes des deux publics. »