Le Journal de Quebec - Weekend

QUAND LE BONHEUR DES UNS FAIT LE MALHEUR DES AUTRES…

L’écrivaine française Inès Bayard entre en littératur­e avec une terrible histoire de viol qu’on n’est pas près d’oublier !

- KARINE VILDER

À 26 ans, la Française Inès Bayard signe un premier roman figurant déjà sur les premières listes de plusieurs prix (dont le Goncourt et le Goncourt des lycéens). Un premier roman si dérangeant qu’au moment où on a pu la joindre au téléphone à Berlin – une ville qu’elle adore et qu’elle ne compte pas quitter de sitôt ! –, plusieurs journalist­es avaient aussi déjà osé lui poser toutes sortes de questions déplacées.

« Ça faisait un moment que j’avais envie de parler du corps de la femme, d’écrire un texte qui décrirait de la façon la plus formelle possible ce que peut ressentir une femme à diverses étapes de sa vie, explique-t-elle. Pas un livre féministe, mais un livre plus profond touchant à l’organique, dans lequel j’allais dépasser les clichés. Les auteures autrichien­nes Elfriede Jelinek ou Ingeborg Bachmann m’ont beaucoup influencée. Dans les romans français, les descriptio­ns ne s’attachent généraleme­nt pas assez à l’aspect corporel ou ne tiennent pas suffisamme­nt compte des drames que peuvent vivre les femmes. »

« Quand j’ai commencé à imaginer une histoire dans laquelle la violence s’inviterait dans le quotidien d’un couple banal, le mouvement #metoo est arrivé, poursuit Inès Bayard. Ma documentat­ion, plutôt mince au départ, s’est donc épaissie d’un coup. Grâce aux forums, j’ai ainsi notamment eu accès à des témoignage­s de femmes qui, après avoir été violées, sont tombées enceintes. Beaucoup ont gardé le silence, certaines ont décidé de parler, d’autres ont songé à l’infanticid­e… »

L’ENFER DU VIOL

À partir de là, on sera convié dès les premières pages à entrer dans le funeste univers de Marie Campan, 31 ans. Conseillèr­e en patrimoine financier dans une agence bancaire située place de la République, à Paris, Marie a pourtant longtemps été un modèle d’équilibre et de vertu : mariée à Laurent depuis sept ans, il ne lui est jamais venu à l’esprit de le tromper et peu importe sa charge de travail, elle a toujours trouvé le moyen de se libérer à temps pour faire les courses, lui concocter de délicieux repas, l’accueillir le sourire aux lèvres, l’écouter pendant des heures sans jamais afficher le moindre signe d’ennui ou se transforme­r au besoin en amante passionnée. Pour dire à quel point ils étaient bien ensemble, Marie avait même arrêté de prendre la pilule dans l’espoir de fonder sous peu une vraie famille.

Mais un soir d’octobre, parce que son vélo a été vandalisé et que la perspectiv­e de prendre le métro ne l’enchantera guère, Marie acceptera le lift de son nouveau directeur général. Et c’est à quelques mètres seulement de chez elle, sur le siège passager de la Mercedes de ce nouveau patron, qu’elle se fera sauvagemen­t violer avec, en guise d’au revoir, une sordide menace du genre « si tu parles à quelqu’un de tout ce que je viens de te faire subir, ton mari et toi, vous êtes finis. »

Marie choisira donc de se taire en pensant pouvoir effacer et oublier rapidement l’incroyable souffrance de ce moment. « Le viol n’est pourtant pas une agression comme une autre, précise Inès Bayard. En plus du traumatism­e physique, il y a également les séquelles psychologi­ques… » Des séquelles qui, dans le cas de Marie, l’amèneront à côtoyer la folie de très près lorsqu’elle comprendra que le bébé qu’elle a maintenant dans le ventre ne peut être celui de Laurent.

UN SUJET CHAUD

La suite de l’histoire est à glacer le sang, Marie ne pouvant se faire avorter sans révéler à son mari ce qui lui est arrivé en octobre. Accablé de travail, ce dernier ne remarquera du reste absolument rien d’anormal dans le comporteme­nt de sa femme… jusqu’à la naissance du petit Thomas. Car incapable d’aimer son fils, Marie ne tardera pas à devenir une si mauvaise mère qu’on a souvent serré les dents (et les poings !) en découvrant tout ce qu’elle lui infligera par pure méchanceté au fil des mois. Entre nous, elle aurait carrément pu en remontrer à la belle-mère d’Aurore Gagnon !

« Le plus difficile, avec ce roman, a été de ne pas avoir peur des mots et de faire en sorte que l’écriture évolue en même temps que mon personnage, souligne Inès Bayard. Si je l’avais écrit de la même façon du début à la fin, il n’aurait pas eu autant de puissance. » Résultat ? Aussi dur à lire soit-il, la plupart des femmes vont l’apprécier, la triste expérience de Marie faisant écho à une réalité encore trop peu ébruitée. « Mais chez les hommes, les réactions sont plutôt violentes, bon nombre d’entre eux ne croyant pas à sa véracité », ajoute Inès Bayard.

 ??  ?? Inès Bayard, aux Éditions Albin Michel 272 pages LE MALHEUR DU BAS
Inès Bayard, aux Éditions Albin Michel 272 pages LE MALHEUR DU BAS
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada