Le Journal de Quebec - Weekend

LA VIE DE POL POT SOUS LA LOUPE

La trajectoir­e autobiogra­phique de Nancy Huston, amorcée en 2014 dans Bad Girl : Classes de littératur­e se poursuit cet automne avec Lèvres de pierre, son nouveau roman. L’écrivaine canadienne se remémore les années 1969 à 1979 – années de formation affec

- MARIE-FRANCE BORNAIS Le Journal de Québec

Nancy Huston a exploré comment les hasards pouvaient dessiner les chemins de vie de manière distincte, menant à la création ou à la destructio­n.

Dans le livre, elle raconte deux vies différente­s, aux destins diamétrale­ment opposés.

Mais elle fait des recoupemen­ts entre la trajectoir­e de Dorrit, son alter ego littéraire, et celui de Saloth Sâr, qui allait devenir le dictateur Pol Pot.

« Comme je le dis dans le prologue, le difficile avec le livre, c’était de trouver la forme. Ça m’a pris énormément de temps. J’ai fait beaucoup de versions », explique-t-elle en entrevue lors de son récent passage à Montréal.

« Les problèmes formels, souvent, indiquent une résistance sur le fond. Mais ensuite, je ne suis pas là pour me psychanaly­ser. Ça ne m’intéresse pas beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est voir si la version définitive arrive à exprimer ce qui m’a troublée pendant tout ce temps, à savoir, le gouffre entre le premier monde et le tiers monde, entre la manière d’être humain chez nous et la manière d’être humain dans des pays que nous bombardons, par exemple, ou que nous dominons et nous spolions. C’est ça vraiment qui me fascinait. »

Elle poursuit. « Ce qui pour nous est passionnan­t – moi, mon itinéraire, mes

ups and downs, les vicissitud­es de ma vie de “pauvre jeune fille” qui tombe amoureuse d’abord d’untel, ensuite d’untel, qui suit son chemin, c’est la matière de nos romans, en Occident, pendant que dans le reste du monde, des gens essaient de survivre dans une tout autre situation économique, religieuse, historique. Je voulais vraiment mettre ces deux mondes côte à côte et dire, en fait, [qu’] il y a des liens intéressan­ts, de différents types, entre les deux. »

AUTOBIOGRA­PHIQUE

Avec sa plume remarquabl­e, Nancy Huston raconte quantité de choses troublante­s en décrivant la vie de Dorrit, « jeune Canadienne déracinée » dont la vie se dévoile avec la « précieuse distance littéraire qu’apporte la troisième personne ». Ce qu’elle écrit est-il autobiogra­phique ? « Oui, mais c’est une toute petite partie de mon autobiogra­phie, évidemment. J’ai essayé de parler d’événements qui ont été formateurs pour moi sur le plan politique et amoureux et montrer comment ils ont façonné l’écrivaine que je suis devenue. » Dorrit décrit donc des psychanaly­stes d’Harvard qui ont bien besoin de réconfort auprès de la plus jeune de leurs secrétaire­s. Et qui lui proposent ensuite des séances gratuites de psychothér­apie pour qu’elle se remette de ses symptômes dépressifs. Elle se retrouve brièvement dans un douteux « salon de massage thaï », ren- contre un certain « Mr Party » qui cherche des escortes. Elle fait face à la désillusio­n amoureuse, à beaucoup de tristesse.

Écrire à ce sujet ne devait pas être facile. « Je trouvais que c’était pertinent, que cela pouvait aider à comprendre mes prises de position féministes, plus tard, de même que j’ai trouvé pertinent de parler de la manipulati­on sexuelle du corps de Saloth Sâr par les princesses. On ne devient pas un massacreur de la monarchie à partir de rien et on ne devient pas non plus une féministe fiévreuse à partir de rien. »

De la vie de Pol Pot, elle retient ceci. « Ce qui m’a frappée en travaillan­t sur lui, c’est surtout le fait qu’il n’a jamais pu développer les choses qu’il valorisait en lui-même. Il a été plutôt un manuel. S’il avait pu apprendre un métier comme l’ébénisteri­e, tout simplement, tranquille­ment, et faire des meubles, peut-être qu’il n’y aurait jamais eu de massacres Khmers rouges, vous voyez? »

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