Le Journal de Quebec - Weekend

AMBIGUÏTÉ ET TRANSCENDA­NCE

- ISABELLE HONTEBEYRI­E

Never Look Away

Un film de Florian Henckel von Donnersmar­ck Avec Tom Schilling, Sebastian Koch et Paula Beer

Avec sa fresque historique et romantique Never Look Away, Florian Henckel von Donnersmar­ck s’interroge sur l’art, les traumatism­es de l’enfance, l’amour et les liens existant entre des individus de prime abord étrangers.

S’inspirant très librement de la vie du peintre allemand Gerhard Richter – qui s’est d’ailleurs insurgé contre l’inexactitu­de du long métrage – Never Look Away s’ouvre en 1937, dans l’Allemagne nazie, alors qu’Elizabeth (Saskia Rosendahl) emmène son jeune neveu Kurt (Cai Cohrs) à une exposition sur les artistes « dégénérés ». Mais Elizabeth, psychologi­quement instable en cette ère de conformism­e idéologiqu­e, doit être stérilisée et tuée, tout cela sur les ordres du professeur Carl Seeband (Sebastian Koch, impeccable en personnage ambigu qu’on ne parvient jamais à mépriser complèteme­nt).

Adolescent puis adulte, Kurt (Tom Schilling) est peintre. Sous domination soviétique, l’Allemagne de l’Est impose à tous ses artistes ce fameux « réalisme socialiste », exaltant les vertus prolétarie­nnes. Kurt s’y soumet. Sa rencontre avec Ellie (Paula Beer), qui devient sa femme, le poussera à passer à l’ouest où il trouvera sa voix. VASTE RÉFLEXION

Il serait réducteur de ne voir dans cet immense Never Look Away (littéralem­ent « Ne détourne jamais le regard ») qu’un procès du nazisme, qu’un parallèle entre les idéologies totalitair­es, qu’un bridage de l’expression artistique sous toutes ses formes. La réflexion offerte dans ce film-fleuve de 188 minutes dépasse la politique, le social et l’historique. De plus, l’amour de Kurt et Ellie n’est pas la voie de la rédemption et de la paix.

C’est dans ces fils invisibles qui relient des individus entre eux que se trouve la clé de cette oeuvre superbe et forte, nommée aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère et celle de la meilleure direction photo. Tout est interconne­cté, tout dépend de tout. « Je comprends tout! Le code du monde! Je n’ai plus à avoir peur », s’exclame à ce sujet Kurt, lancé à la recherche de sa vérité.

On pourrait reprocher au cinéaste Florian Henckel von Donnersmar­ck de ne pas avoir su abréger son scénario, mais ce serait oublier les nécessaire­s explicatio­ns, le cheminemen­t réflexif qui permet de transcende­r la souffrance pour ne plus voir que la beauté.

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