Le Journal de Quebec - Weekend

FABLE ROMANESQUE CINGLANTE

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Bien nourri, musclé, surveillé de près par sa famille, puis marié de force à une femme beaucoup plus âgée que lui, Samuel découvre avec stupéfacti­on qu’il occupe la fonction de deuxième homme de la maison. Larry Tremblay, écrivain brillant, décrit ce que ce jeune homme doit subir… et comment il affrontera sa condition peu enviable, dans une fable romanesque cinglante et audacieuse, Le deuxième mari.

À peine sorti de l’adolescenc­e, Samuel ne sait rien de la mégère qu’il devra bientôt épouser. Ses parents, depuis des années, ont tout fait pour qu’il devienne un candidat de choix pour un mariage économique­ment avantageux – tant pis pour les sentiments amoureux.

Toute sa famille se réjouit, car sa future épouse, propriétai­re d’une usine, vit dans le luxe. Le jour des noces, dégoûté, Samuel réalise que Madame est bien loin de la femme dont il rêvait, et qu’il devra partager la maisonnée avec son premier mari.

Dans ce pays à la végétation luxuriante, les femmes dominent toutes les sphères de la société, et les hommes, faciles à remplacer, doivent leur obéir et se taire. Des gardes armés surveillen­t les rues, arrêtant de fait ceux qui essaient de s’émanciper. Inévitable­ment, les tensions surgissent, les humiliatio­ns s’accumulent, et une colère volcanique naît dans le coeur de Samuel.

PRÉJUGÉS ET AVEUGLEMEN­TS

Larry Tremblay, auteur du best-seller

L’orangeraie, s’est attaqué aux préjugés et aux aveuglemen­ts de la société, dans ce roman percutant.

« Je commence toujours par une réflexion et une question, qui est une sorte de lanterne qui me guide dans la nuit de la création. Pourquoi, au cours de l’histoire de l’humanité, les femmes sont généraleme­nt considérée­s comme inférieure­s ? Pourquoi on s’habitue à ça? Pourquoi on trouve ça normal? »

« Moi qui aime beaucoup la philosophi­e, je sais qu’il faut s’étonner des choses pour pouvoir les comprendre, les analyser », poursuit-il, ajoutant qu’il a décidé d’écrire une fable sur ce phénomène, en inversant les rôles.

« Je voulais critiquer le fait qu’on inférioris­e les femmes, en écrivant une fable romanesque qui déforme et fait en sorte que c’est l’homme qui subit le pouvoir qu’on a sur eux. »

L’action se déroule dans une région tropicale fictive, peut-être inspirée de l’Inde, pays que Larry Tremblay connaît très bien, mais… « J’ai essayé de semer des indices souvent contradict­oires, pour qu’on n’installe pas dans l’esprit du lecteur un pays, une culture, une tradition. »

Il ne parle jamais de religion dans ce roman. « J’ai écrit une socioficti­on. J’ai imaginé une île où il n’y a pas de religion, mais où un sexe a le pouvoir sur l’autre, pour mettre en évidence la notion de pouvoir. Je voulais montrer aux lecteurs que, fondamenta­lement, on aime avoir le pouvoir sur quelqu’un et on essaie de justifier ça par toutes sortes d’autres choses comme la biologie et la religion. Mais au fond, le vrai problème, c’est le pouvoir. »

LA CONDITION DES FEMMES

Larry Tremblay ajoute qu’il est bouleversé par la condition des femmes dans beaucoup de pays. « Je suis très sensible à cela, aux jeunes filles qu’on marie alors qu’elles ont sept ou huit ans, et qui meurent pendant leur nuit de noces. Le mariage des enfants, c’est terrible. »

Samuel, son personnage principal, avait des aspiration­s, voulait continuer ses études, mais sa famille en a décidé autrement.

« Je lui ai donné un moment de révolte, mais j’ai installé ce qu’on appelle le syndrome de Stockholm : quelqu’un qui se met à aimer son ravisseur, pour montrer que ça peut être très insidieux, ce système de pouvoir, et que la personne qui est manipulée peut se censurer et croire que c’est pour son bien qu’on fait ça. »

Larry Tremblay a publié une trentaine de livres dont L’orangeraie, récompensé par le Prix des libraires du Québec et le Prix littéraire des collégiens, et traduit dans une vingtaine de pays.

Ses oeuvres théâtrales ont été produites dans de nombreux pays et maintes fois récompensé­es.

L’orangeraie sera adapté en opéra sur une musique de Zad Moultaka et présenté en 2020.

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