Le Journal de Quebec - Weekend

REGARDS SUR UNE MAISON CLOSE

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Après avoir écrit deux best-sellers traduits en plusieurs langues, l’écrivaine française Emma Becker s’est installée à Berlin où, pendant deux ans et demi, elle a travaillé dans une maison close. Pas de force, au contraire : par choix. Elle rend compte de son expérience, de manière à la fois littéraire et réaliste, dans son nouveau roman, La Maison.

MARIE-FRANCE BORNAIS

Le Journal de Québec

Emma Becker, en entrevue, explique qu’elle a toujours été fascinée par ce monde des maisons closes. « On en a beaucoup dans notre littératur­e, en France, on a beaucoup d’écrivains qui en ont parlé. Pourtant, on n’en parle pas beaucoup et si on en parle, c’est toujours dans une logique de victimisat­ion. »

Quand elle est arrivée à Berlin, elle a constaté que les maisons closes étaient légales.

« Il y a des bordels un peu partout, au même titre que des magasins. Il n’y a pas spécialeme­nt une aura de mystère autour de ça. Du coup, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir ce qui se passait. Et pour une femme, c’est difficile d’écrire quelque chose là-dessus sans avoir soi-même pratiqué le boulot, en tout cas si on veut écrire ce genre de livre et être un peu honnête. »

Emma Becker ne s’est pas prostituée sous la contrainte – elle y est allée de plein gré. « J’ai travaillé pendant deux ans et demi dans une maison close. » « J’ÉTAIS BIEN »

Ce qui l’a étonnée le plus ? « C’était peut-être de me sentir bien. Initialeme­nt, je pensais y rester un an et j’y suis restée deux ans et demi, parce que j’en avais envie, parce que j’étais bien et parce que je trouvais que l’expérience se développai­t au fur et à mesure du temps que j’y passais. Je ne pensais pas du tout tomber sur cet endroit très particulie­r, dans lequel je me suis sentie bien. »

En plus de nourrir son travail d’écrivaine, cette expérience a changé son regard sur les travailleu­ses du sexe et le milieu des maisons closes.

« Je ne savais pas du tout qui étaient les femmes qui choisissai­ent de faire ce métier, puisqu’en Allemagne, la prostituti­on étant légale, il n’y a absolument pas que des prostituée­s forcées. Il y en a beaucoup qui choisissen­t de faire ce métier. J’ai découvert que ces femmes sont des travailleu­ses, au même titre que n’importe quel autre corps de métier. C’est un vrai métier, quoi. »

Soulignant qu’en France, les maisons closes sont interdites depuis 1946, elle arrivait avec des préjugés de Française. « Je me demandais si ces femmes sont toutes malheureus­es, toutes contrainte­s, toutes forcées. Et j’ai découvert qu’effectivem­ent, elles le prenaient vraiment comme une profession. » « BEAUCOUP PLUS FÉMINISTE »

Elle affirme que cette expérience l’a rendue « beaucoup plus féministe ». « On se rend compte, en faisant ce métier, dans le contexte où j’ai eu la chance de le faire, que les rapports de domination et de soumission, bien souvent, en fait, s’inversent. Dans cet endroit, ce sont les femmes qui ont le pouvoir. C’est ça qui fait la particular­ité de La Maison et de mon expérience. »

Elle ne pense pas du tout parler au nom de toutes les prostituée­s ou d’écrire une expérience générale. « C’est vraiment mon expérience à moi, c’est la façon dont je l’ai vécue. »

« Le fait que j’écrive un bouquin sur mon expérience heureuse de prostituée n’invalide en rien l’expérience malheureus­e de toutes les femmes qu’on force. Pas du tout. Mais je crois que dans le contexte où une femme choisit ce métier, elle n’est pas obligée d’être malheureus­e, ni de se sentir salie, ni d’avoir l’impression que les hommes ont le pouvoir sur elle. » Emma Becker est une écrivaine française qui vit maintenant à Berlin. Elle a publié Mr. (2011) et Alice (2015) chez Denoël. Ses livres sont traduits en plusieurs langues. La Maison est en lice pour le prix Renaudot.

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LA MAISON Emma Becker Éditions Flammarion 384 pages
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