Le Journal de Quebec - Weekend

LA SPLENDEUR DES SOUVENIRS

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Poursuivan­t l’aventure commencée avec son Autoportra­it de

Paris avec Chat, entièremen­t écrit et dessiné à la main, Dany Laferrière revient cet automne avec Vers d’autres rives. Riche et coloré, ce nouveau roman illustré fait découvrir à la fois l’enfance de l’écrivain en Haïti, ses souvenirs, mais aussi ses peintres et ses poètes préférés.

MARIE-FRANCE BORNAIS

Le Journal de Québec

En entrevue par courriel alors qu’il fait la promotion de son roman en Europe, Dany Laferrière écrit qu’il a « réactivé des organes laissés de côté depuis si longtemps pour répondre aux sirènes de ladite modernité, la machine à écrire et l’ordinateur. Il n’y a pas que la main dans cette affaire, on trouvera aussi le regard. »

L’écrivain raconte son enfance auprès de sa grand-mère Da, une femme d’une nature optimiste qui aimait les surprises.

Il présente un univers foisonnant et coloré dans son livre, étonnant de la première à la dernière ligne. Comment a-t-il trouvé cette deuxième expérience?

« Pour moi, ce n’est pas une expérience, il s’agit d’un fait fondamenta­l de ma vie, surtout quand j’ai compris que je pouvais ouvrir de nouvelles pistes dans le champ de ma mémoire », écrit-il.

« Cette liberté nouvelle m’a permis d’aller en avant et en arrière, au-dessus et au-dessous. Tout geste libre accroît notre goût de la vie. Et plus on est libre, plus on élargit l’espace vital de l’autre. On remarque un être libre au premier coup d’oeil, car il vous accepte sans s’inquiéter de vos origines. » COHABITATI­ON FORCÉE

« J’ai tellement pris plaisir à le faire que je ne vois les choses qu’en images et mots. Si le mot peut faire image, l’image fait certaineme­nt mot. Quand je rencontre un littéraire, il s’étonne que j’utilise le dessin pour me dire, alors que c’est le contraire quand je croise un peintre. »

Il précise que ces deux mondes n’ont pas l’habitude de se mélanger…

« Quand on voit dessin et texte dans un livre, on prend la peine de les séparer, comme si l’un était en visite chez l’autre. Moi je les oblige à cohabiter et même à copuler pour enfanter des émotions. Vous imaginez le plaisir que je prends à créer de telles ambiances. » EFFACER LA RUMEUR DU MONDE

Dany Laferrière explique qu’écrire et dessiner lui permet de se concentrer, « ce qui efface pour un moment l’incessante rumeur du monde ». « Une rumeur gorgée le plus souvent d’horreurs, ajoute-t-il. Quand je suis à ma table, dans ce studio ou dans une chambre d’hôtel, j’ai l’impression parfois de tenir le monde au creux de ma main. Comme du temps de mon enfance. Bien sûr que c’est une illusion, mais cette illusion permet au monde de respirer, en tout cas dans cet univers de poche que j’habite. » L’écrivain et illustrate­ur fait découvrir plusieurs poètes haïtiens dans son roman. Il est touché par leur poésie concrète qui l’a aidé à traverser la dictature, dit-il, puis l’hiver au début de sa vie à Montréal. « J’aime ce côté primitif des mots, leur nudité, et cette joie que je retrouve dans la peinture haïtienne. Si cela reflète le fond de l’âme haïtienne, alors on a envie de connaître un tel peuple. Des gens qui gardent une telle énergie face à la tempête de la vie. » DES IMAGES

Dany Laferrière dit qu’il est devenu, avec le temps, un « profession­nel » de sa propre vie.

« Souvent le soir, avant de dormir, je revois Petit-Goâve, celui de mon enfance avec Da, mes tantes, ma soeur, mes amis, Vava, la rue Lamarre, la mer derrière les cocotiers, le poisson frais des pêcheurs qui reviennent de l’île de la Gonâve, la jeune noyée, la bicyclette rouge que je n’ai jamais eue, mais que la fiction, généreuse, m’a permis de récupérer… »

DANY LAFERRIÈRE – VERS D’AUTRES RIVES

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