Le Journal de Quebec - Weekend
L’UTOPIE FÉMININE DE GRETA GERWIG
Traduit dans 55 langues, décliné pour le théâtre, la télévision, le cinéma, en animation et même en opéra, le roman Les quatre
filles du docteur March, paru au 19e siècle, demeure d’une singulière modernité. C’est pour cette raison que Greta Gerwig signe le scénario et la réalisation d’un autre film, distribuant les rôles à Saoirse Ronan, Florence Pugh, Emma Watson, Laura Dern et Meryl Streep.
« Pour moi, quand j’ai relu le livre une fois adulte, il était clair qu’il parlait d’argent. De femmes et d’argent. D’art, de femmes et d’argent. Et de la question de savoir comment on peut créer une oeuvre d’art quand on n’a pas d’argent. […] L’argent est un thème qu’on sent à travers tout le roman. J’ai passé énormément de temps à effectuer des recherches sur la vie de Louisa May Alcott, ce qu’elle avait fait en tant qu’auteure, le fait qu’elle avait financièrement sauvé sa famille », a indiqué Greta Gerwig pendant une séance de questions-réponses lors d’un visionnement du long métrage Les quatre filles
du docteur March organisé par la Screen Actors Guild à Los Angeles.
« Quand je suis allée parler du roman [aux studios], j’ai expliqué ce que je voyais, soulignant l’urgence, la modernité et l’importance de raconter l’histoire de ces jeunes filles ambitieuses, qui veulent bien plus que ce que le monde peut leur donner à ce moment-là. »
« PUNK-ROCK ET SHAKESPEARIENNE »
Qualifiée par Amy Pascal, la patronne des studios Sony, de « punk-rock et shakespearienne », Greta Gerwig a choisi, pour incarner Jo, figure centrale des Quatre filles du docteur March, son actrice de Lady Bird.
Saoirse Ronan, qui interprète Jo March, n’a pas eu, à l’endroit de son personnage, les mêmes appréhensions que lors du tournage de
Lady Bird. « La différence est que nous abordions toutes deux [Jo March] pour la première fois alors que Lady Bird était très personnel pour Greta. J’étais pétrifiée à l’idée de rater ma prestation », a-t-elle expliqué.
« Tant d’excellentes actrices ont incarné Jo », a-t-elle souligné. Avec la cinéaste, les deux femmes ont donc exploré la psychologie de Jo, ses aspirations, sa vivacité, ses doutes et ses craintes.
« Je suis arrivée à un point, dans une carrière débutée à l’âge de huit ans, où je me suis sentie prête à explorer, à changer des choses pour voir ce qui se produirait. J’ai eu beaucoup moins peur et je crois que c’est parce que je fais autant confiance à Greta. »
RÉALITÉ FÉMININE
Dans le récit, Jo March veut devenir auteure. Elle vend ses histoires à un journal, le directeur insistant pour que son héroïne soit « morte ou mariée », les deux seules alternatives qui s’offrent aux femmes au milieu du 19e siècle. Avec ses soeurs, Meg (Emma Watson), Beth (Eliza Scanlen) et Amy (Florence Pugh), elle explore le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Amoureuse de Laurie (Thimothée Chalamet), Jo cherche sa voie, encouragée par Marmee (Laura Dern), sa mère, et surveillée de près par la tante March (Meryl Streep) qui ne veut rien d’autre que de la faire rentrer dans le rang.
Tourné à Concord, au Massachusetts, là où Louisa May Alcott a vécu, Les quatre filles du
docteur March fait de Marmee un personnage fort, une femme quotidiennement en colère, revenant ainsi à la source du livre.
« Le roman nous permet d’entrer dans la réalité de ce qu’est le fait d’être une mère qui élève ses filles, a détaillé Laura Dern. Pourtant, j’avais raté cet élément lors de ma lecture, enfant. J’avais vu tellement d’autres choses! Mais je me souvenais de Marmee comme d’une femme angélique et omnisciente. Greta l’a complètement ouverte, révélant ce qui était au coeur du roman, à savoir sa compréhension, sa tolérance et son ouverture d’esprit sur des sujets qui posent encore des problèmes à bien des gens aujourd’hui, notamment l’empathie. »
« En relisant le livre à travers les mots de Greta, et ensuite à travers les mots de Louisa, j’ai découvert qu’on y parlait de tout, de tolérance, de sexualité, de relations raciales, de complications, de révolution… tout cela sans argent et sans hommes. C’était tellement brut, si vrai, si courageux… et oui, punk-rock et oui, shakespearien... »
Pour Greta Gerwig, « il n’y a jamais eu de meilleur moment d’être une femme qui veut écrire ou une femme qui veut réaliser un film. […] En tant que femme qui veut écrire et qui veut réaliser, je suis le résultat de toutes ces femmes qui sont passées avant moi. Louisa a rendu cela possible. En écrivant l’histoire de sa vie et de ses soeurs, en leur donnant de l’espace sur la page, en disant que la vie intérieure des femmes vaut quelque chose… c’est incroyable. C’est une utopie féminine. » Les quatre filles du docteur March arrivent dans les salles le 25 décembre.