Le Journal de Quebec - Weekend
AFFRONTER LE NORD
Le Nord-du-Québec inspire de plus en plus d’auteurs. La nature à l’état brut, l’isolement, le monde autochtone et l’exploitation du territoire nourrissent toutes ces histoires. Le défi, c’est d’en tirer un récit qui se démarque. Fille de fer y arrive de belle façon.
Isabelle Grégoire, qui signe ici son deuxième roman, est journaliste de profession. L’idée de Fille de fer lui est d’ailleurs venue à la suite d’un reportage, et elle est retournée sur le terrain pour s’assurer de la crédibilité de ce qu’elle allait inventer.
Cela explique qu’on embarque aussi facilement dans l’histoire pourtant bien particulière vécue par Marie, la narratrice du récit. Elle est conductrice de train minier entre Sept-Îles et Shefferville, rare femme à exercer un tel métier.
Dès l’ouverture du roman, en plein coeur d’une nuit enneigée, le train s’arrête brusquement, car les freins automatiques d’urgence viennent de s’activer. Pourquoi ? C’est à elle d’aller voir. Pas le choix : Marie est seule sur ce long convoi. Comme elle le dit : « Je dois “marcher mon train” [..] : plus de trois milles, aller-retour, deux bonnes heures, pour vérifier mes deux cent quarante wagons. »
Cette précision fait son effet : nous sommes dans le tangible, Marie — plutôt l’auteure ! — connaît son affaire. La minutie avec laquelle elle mène l’inspection le confirme.
Grâce cette prémisse, nous accueillerons sans peine la surprenante apparition d’un homme qui surgit juste au moment où Marie, toute à son affaire, fait une mauvaise chute dans la neige. L’homme, ermite peu loquace, l’amènera chez lui pour s’occuper d’elle.
Ainsi se termine le premier chapitre. La mise en place est faite, le récit qui suit nous tiendra aux aguets.
Marie restera une semaine isolée du monde. Chacun la croit morte. C’est dire si son retour lui vaudra une grande attention, notamment médiatique. La compagnie minière qui l’emploie a intérêt à faire d’elle une héroïne — ce qui n’améliore pas sa cote auprès de ses collègues, hostiles à sa présence dans leur milieu de gars. Cette pression plus ou moins subtile que subit la narratrice est extrêmement bien rendue.
MYSTÉRIEUX INCONNU
De son côté, Marie n’arrive pas à oublier le mystérieux inconnu qui l’a recueillie. Un homme qui réside dans une grande maison oubliée de tous, remplie de livres et de meubles de prix, et qui tient à sa réclusion.
C’est lui qui la contactera à nouveau et Marie se laissera charmer par cette espèce de Survenant du Grand Nord, soucieux de protection de l’environnement. Comme le sont aussi des autochtones de la région, auxquels elle s’identifie à cause de sa mère d’origine crie qui l’a abandonnée à sa naissance.
Mais on n’est pas dans le romantisme ici, ni les bons sentiments. Le personnage de Marie, solide, est d’une grande lucidité et l’auteure décrit avec réalisme et vivacité un univers où les tensions ne manquent pas.
Alors on avance, curieux de ce qui attend Marie. La finale ne nous décevra pas.