Le Journal de Quebec - Weekend

UN TIREUR ET SON SECRET

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Un jeune Québécois, issu d’une famille au-dessus de tout soupçon de dérive, tire sur son père. Comment a-t-il pu en arriver là ?

Quand ils survivent à leur geste et sont arrêtés, les tireurs de masse affichent le même air fermé. Leur entourage, lui, témoigne de son incrédulit­é alors que les parents sont dévastés.

Louise Dupré, qui a exploré bien des facettes du mal, de la mort et de la disparitio­n dans ses précédents textes romanesque­s et poétiques, s’est emparée de cette réalité pour bâtir un roman tout en finesse.

Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’épicentre de son drame se déroule au sud de la frontière, là où les tueries par armes à feu font pour ainsi dire partie du quotidien, donc touchent une foule de familles « ordinaires ».

Le jeune Théo accompagne son père, invité comme conférenci­er en Floride. Mais, choc !, il va tirer sur celui-ci au moment où il prend la parole à l’Université de Miami. Karl, le père, survit mais l’adolescent sera abattu par un gardien de sécurité.

Béatrice apprend tout ça de Montréal, au début du roman, dans un contexte bien particulie­r. Monteuse de profession, elle est justement en train de finaliser un documentai­re sur les tueries de masse.

Béatrice n’est pas la mère de Théo, mais c’est tout comme. Elle est tombée amoureuse de Karl quinze ans plus tôt, alors qu’il devenait veuf avec deux très jeunes enfants. La cohabitati­on s’est faite sans heurts.

Mais depuis peu, Théo avait changé. Qui aurait pu croire toutefois qu’il commettrai­t un tel geste? Aurait-il même tiré sur les étudiants s’il n’avait pas été tué?

« J’ai parfois eu peur qu’Elsa ou Théo ne se fassent enlever et assassiner, mais il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’ils puissent donner la mort », note Béatrice, qui cherche dans l’écriture des réponses à son questionne­ment.

Car contrairem­ent à Karl, qui était pourtant ciblé, Béatrice ne peut se décider à tourner la page. Forcément, il y a une raison au geste de Théo, des signes avant-coureurs, ça doit s’expliquer!

Et puis, pourquoi chacun ne réagit-il pas comme elle?

INTELLIGEN­CE

Parce que l’éventail des réactions face à l’inexplicab­le est grand, ce que Louise Dupré démontre avec intelligen­ce en ajoutant tout un fond de scène à son drame familial.

Ainsi, des membres de la famille de Karl, Allemand d’origine, ont connu les camps de concentrat­ion de la Deuxième Guerre mondiale. Béatrice, elle, a le souvenir d’un oncle qui avait été interné à Saint-Jean-deDieu, ce qui avait ébranlé toute la famille.

Comment affronter la colère, la honte, la pitié, le désespoir ? Comment comprendre, comment tenir debout ?

En même temps, il y a du soutien autour de Karl et Béatrice, et la force du couple qui s’appuie l’un sur l’autre est parfaiteme­nt rendue dans ce récit sensible.

La part sombre des humains ne peut pas faire oublier que la vie continue. Par petites touches, Louise Dupré fait entrer la lumière.

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THÉO À JAMAIS Louise Dupré Héliotrope 234 pages
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