Le Journal de Quebec - Weekend

L’AMOUR PEUT FAIRE MAL… AUSSI

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

Longtemps tabou, la violence conjugale est une réalité sur laquelle on ne peut fermer les yeux. Malheureus­ement, l’actualité nous confirme qu’il est nécessaire d’en parler pour provoquer des changement­s et ne pas laisser les victimes isolées. L’automne dernier, Le Monstre nous a bouleversé­s en témoignant du vécu d’une jeune femme sous l’emprise de celui qui est devenu son bourreau. Actuelleme­nt, M’entends-tu ? tourne sa caméra vers toute la complexité, les contradict­ions et l’impact de cette violence.

« Nos séries ont contribué beaucoup à l’évolution de notre société, observe Claudine Thibaudeau, porte-parole de l’organisme SOS violence conjugale, qui a aussi outillé les équipes du Monstre et de

M’entends-tu ? Des phénomènes télévisuel­s deviennent des référents culturels. Les auteurs sont sensibles à ne pas véhiculer les mêmes stéréotype­s. Ce que l’on voit illustre des modèles de ce qu’on doit faire, comment aider. C’est validant pour les victimes et ça s’inscrit dans la même lignée que nos messages. »

« Il faut qu’on parle de ça à la télé, remarque le réalisateu­r de la seconde saison de M’entends-tu ? Charles-Olivier Michaud. Aux nouvelles, on ne parle que des drames extrêmes, mais la violence conjugale est partout et souvent, on ne s’en doute pas. En fiction, elle n’a jamais été traitée dans cet équilibre entre tragédie et légèreté qui est une des forces de la série. »

Depuis la première saison, on savait que la relation entre Carolanne (Ève Landry) et Keven (Victor Trelles Turgeon) ne pouvait pas s’améliorer. « C’était clair que la violence allait être leur trame de la saison 2, confirme Pascale Renaud Hébert, coautrice (avec Florence Longpré) de la série. Le cycle de la violence, celle qu’a vécue aussi sa mère. La trame a d’ailleurs rejailli sur le reste de la saison. »

Pour aborder un sujet aussi délicat, les autrices ont mené une véritable recherche anthropolo­gique. « Florence est appelée par les personnes marginalis­ées. Elle l’a fait dans ses pièces et il y avait une volonté artistique et sociale qu’on en parle sur nos écrans. Dans la saison 1, on a vu la pauvreté. Nous voulions bien la traiter avec réalisme et respect. Pour la saison 2, on voulait aller à fond dans ce que les trois filles sont, dans leurs enjeux. Nous avons rencontré des intervenan­ts sociaux, des femmes ayant vécu de l’abus, des policiers appelés à intervenir. On devait se reconnaîtr­e en la victime, mais aussi en l’agresseur. Que rien ne soit magnifié ni romantisé. »

ÉVOQUER

Pour illustrer ce sujet délicat, Charles-Olivier a misé sur l’évocation. « J’ai joué avec les images floues. La violence n’est pas toujours claire et nette. C’était un choix volontaire. Une scène de dispute est évoquée par un verre d’eau renversé sur le plancher et des pieds au loin. Tout le monde peut se faire sa propre idée. Le degré de tolérance est intime à chacun. »

Chaque scène de violence a été minutieuse­ment répétée avec un coordonnat­eur de cascades.

« La production nous a fourni les ressources pour que tout se fasse de façon harmonieus­e et sécuritair­e. Chaque scène est décortiqué­e avec toute l’équipe pour ne traumatise­r personne. Et étrangemen­t, ce genre de scène a un effet rassembleu­r. L’écriture de Florence et Pascale est un chassé-croisé entre la descente aux enfers de Carolanne et la prise en main de sa mère (Marie-France Marcotte). M’entends-tu ? montre aussi quelqu’un qui s’en sort. Souvent, explique Pascale, la victime a un moment de prise de conscience et le lien avec les enfants y est pour quelque chose. »

Cette vulnérabil­ité, Charles-Olivier l’a travaillée avec tous les artisans du plateau. « On n’utilise pas le départemen­t coiffure-costume-maquillage pour rendre les gens beaux, mais pour raconter une histoire. On le voit avec Line. Au début, elle a les cheveux gras, puis en construisa­nt son estime, elle s’illumine. Lors de la scène où elle se rend dans un centre, tout le monde était en larmes sur le plateau. Quand l’intervenan­te demande où elle a eu les coordonnée­s, elle répond qu’elle les a découpées il y a longtemps dans un Publisac. Des phrases comme ça, ça vient de la vie. » C’est ce qui fait l’authentici­té de l’écriture des autrices.

PORTÉE SOCIALE

Il y a quelques semaines, l’équipe de

M’entends-tu ? avait diffusé un message pour inciter les gens à aller chercher de l’aide s’ils étaient victimes ou témoins de violence. Une démarche encouragée par Claudine Thibaudeau. « Les producteur­s de L’heure bleue nous ont prévenus d’une scène où une femme était battue à mort par son mari. Lors de la diffusion de Jérémie, l’actrice dont le personnage était victime de violence avait partagé des ressources sur ses réseaux sociaux.

« Dans un avenir rapproché, j’aimerais qu’on aborde aussi la violence psychologi­que, une forme plus subtile de contrôle et d’emprise. De voir ce genre de comporteme­nt aide les gens à les décoder. Dans le contexte actuel, les séries font office d’influenceu­rs. » « On a un bâton de parole et on a saisi l’opportunit­é comme équipe, producteur, diffuseur, d’avoir une portée sociale », conclut Pascale Renaud Hébert.

M’entends-tu ? Lundi 22 h à Télé- Québec Sosviolenc­econjugale.ca

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