Le Journal de Quebec - Weekend

VOIR SURGIR LES FANTÔMES DU PASSÉ

- MARIE-FRANCE BORNAIS Le Journal de Québec

Fin observateu­r des sentiments amoureux, l’écrivain français Philippe Besson raconte dans Dîner à Montréal sa rencontre étonnante avec un ancien amant qui avait finalement tourné la page sans se perdre en explicatio­ns ou en excuses. Dans un roman précédent, Un certain Paul Darrigrand, il avait raconté cette histoire d’amour qui avait marqué sa jeunesse au fer rouge.

Dans ce roman « très proche de la vérité », affirme Philippe Besson en entrevue, il raconte comment son ancien amoureux s’est pointé à une séance de dédicaces, dans une librairie montréalai­se, en 2007. Et comment ils se sont donné rendez-vous pour un dîner en ville.

Pas question d’un tête-à-tête: le narrateur y va avec Antoine, son jeune compagnon de l’époque, et Paul Darrigrand, installé à Montréal depuis des années, arrive avec sa femme Isabelle – la même qu’il y a 18 ans.

S’ensuivent un dîner d’une grande tension émotive, marqué par les malaises, les non-dits, puis quelques explicatio­ns fournies à la dérobée lorsqu’Antoine et Isabelle quittent la table pour aller fumer dehors.

Philippe Besson explore un thème très intéressan­t dans ce nouveau roman : que fait-on lorsqu’un fantôme du passé ressurgit, alors qu’on s’y attend le moins? Est-ce guérisseur et libérateur ou pas du tout?

NOSTALGIQU­E RENCONTRE

Récemment de passage à Montréal, il commente avec émotion cette rencontre improbable, coincée entre les remords et la nostalgie.

« Cette histoire me poursuivai­t depuis plusieurs années. Puis est venu le moment : je me suis dit, je sais enfin comment l’écrire. »

Toute l’action se déroule à Montréal. « L’empreinte de cette histoire est si forte sur moi que je ne pouvais pas faire autrement que de la raconter, de manière assez intime. En même temps, il y avait la volonté de déborder des frontières de l’histoire. »

SENTIMENTS UNIVERSELS

Il espère que Dîner à Montréal parlera aussi aux gens et leur racontera quelque chose d’eux-mêmes aussi. « On a tous vécu cette idée de se dire : que deviennent nos anciennes amours ? Et si on les revoyait, dans quel état on serait ? Qu’est-ce qu’on a fait de nos vingt ans? Qu’est-ce qu’on a fait de notre vie ? Ces questions existentie­lles, quand elles nous sont posées de manière fortuite, leur écho est encore plus violent. » Philippe Besson rappelle le grand sentiment d’injustice qu’on peut ressentir lorsqu’une histoire d’amour se termine abruptemen­t, sans explicatio­ns. « On en veut à soi, à l’autre, que ça n’ait pas été tenté. Ça n’a même pas été tenté, au fond, ç’a été évité, d’une certaine manière, cette histoire. »

UN RISQUE

Isabelle voyait à tout moment le risque de perdre son mari, Paul Darrigrand.

« Elle est dans la situation la plus terrible et en même temps, la plus forte : c’était quand même délicat de dîner avec l’ancien amant de son mari ! C’était surréalist­e, comme situation. Et en même temps, elle a gagné : des années après, elle est encore sa femme et la mère de ses enfants. Il y avait à la fois une fragilité et une puissance chez elle et elle navigue en permanence entre les deux. »

Gagnante ? Pas si sûre… Il y a des non-dits, des choses dissimulée­s, des choses non réglées chez Paul Darrigrand. « C’est toute l’ambiguïté de Paul depuis le début: il était ambigu à 20 ans, il l’est encore, 20 ans après. »

L’écriture a été « bizarremen­t jubilatoir­e », commente l’auteur, qui a eu le sentiment d’avoir le dessus sur l’histoire.

« C’est comme si l’écrivain vengeait l’homme : qu’il venait au secours de l’amoureux pour lui dire, ça va aller, parce que je prends la suite. Tu vas triompher là où l’amoureux a échoué. »

Philippe Besson est un romancier de premier plan traduit dans une dizaine de pays.

Il a publié une vingtaine de romans, dont Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau.

Le tournage de l’adaptation cinématogr­aphique de son roman

Arrête avec tes mensonges se fera en mai-juin prochain en Charentes.

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