Le Journal de Quebec - Weekend
LA VÉRITÉ ENGENDRE LA FICTION
Le travail d’un auteur est plutôt solitaire. Mais quand il se plonge dans un univers qu’il connaît moins ou qu’il doit décrire et rapporter avec crédibilité, il lui arrive de faire appel à un(e) recherchiste afin de valider des faits pour l’aider à bâtir ses intrigues. Un lien de confiance se crée, permettant à l’auteur de laisser libre cours à son imagination dans des paramètres qui se rapprochent de la réalité. Cette complicité, MarieJosée Ouellet et Christine ChevarieLessard l’ont développée auprès de Michelle Allen et Richard Blaimert, avec lesquels elles travaillent.
« Michelle [Allen] m’a enseigné à l’INIS il y a 10 ans, relate l’auteure Marie-Josée Ouellet. Je gagne ma vie comme scénariste, mais elle souhaitait travailler avec quelqu’un qui possède une connaissance scénaristique pour bâtir les trames dramatiques et nourrir la recherche. C’est à ce moment que j’ai intégré l’équipe de L’Échappée. »
Le travail de Marie-Josée en recherche s’articule principalement autour de trois axes importants: le centre jeunesse, les enquêteurs et tout ce qui concerne le personnage complexe de David (Patrick Hivon).
« C’est le troisième projet que je fais avec Richard [Blaimert], explique Christine Chevarie-Lessard en parlant de
Cerebrum. Ses demandes sont souvent précises et mes recherches permettent de confirmer ou non ses intuitions. Mon expérience comme documentariste me permet d’exercer mon travail de recherche avec la même éthique que lorsque je fais mes documentaires. J’ai acquis une facilité à approcher les gens, à les lire, à interpréter ce qu’ils ne disent pas nécessairement, à développer mon instinct et à créer des relations à long terme pour en faire des alliés. »
GARDER LA COHÉRENCE
Toute fiction se base généralement sur des vérités. Pour L’Échappée, Marie-Josée intervient à plusieurs étapes du processus d’écriture. D’abord, elle se prépare pour les brainstorm en s’assurant de l’actualité de chacune des trames.
« Qu’en est-il avec la DPJ, les policiers ? Je parle aux consultants [des professionnels de chaque milieu] afin d’apporter des solutions en brainstorm pour faire évoluer les personnages et que tout soit plausible. Je suis la gardienne de la recherche, alors que les auteurs se concentrent sur la construction des destins des personnages. Après notre brainstorm, j’ai plein de matière à valider.
Par exemple, lorsqu’un jeune est en fugue, je dois faire part aux auteurs de toutes les étapes du côté de la DPJ, des policiers, toutes les déclinaisons possibles et l’ordre d’une intervention pour créer un enjeu dramatique fort. » Les auteurs écrivent des synopsis, puis des « scène à scène ». À chaque étape, des questions surgissent pour Marie-Josée.
« Parfois, pour des raisons de budget ou pour faire évoluer une situation plus rapidement, je dois valider certains détails. Tout doit être cohérent et nos consultants sont sollicités à nouveau avant le tournage. »
Elle regarde aussi les montages. « Quand la législation a changé pour le cannabis, haussant de 18 à 21 ans l’âge légal, on a dû corriger le dialogue en
voix off. Nous devons véhiculer la vraie loi selon la date de notre diffusion. »
DÉVELOPPER DES CAS
Ses recherches permettent aussi de développer des personnages. « David, les gens aiment le détester. C’est un personnage qui demande énormément de recherche. Nous avons fait appel au psychiatre Gilles Chamberland. Il nous a aidés à poser un diagnostic pour construire ses futures actions. C’était par contre délicat, car son diagnostic ne devait pas laisser croire qu’il mène à être un tueur en série. Nous devons envoyer les bons messages. »
La santé mentale est aussi au coeur de
Cerebrum. « Ma première tâche a été de trouver le conseiller idéal en psychiatrie auquel Richard allait pouvoir se référer régulièrement, relate Christine. Je l’ai mis en contact avec la docteure Marie-Ève Cotton, une spécialiste qui a aussi une bonne connaissance des médias. Par la suite, j’entreprends des recherches pour documenter certains cas, pour donner du jus à Richard pour développer ses personnages et ses intrigues. J’ai beaucoup lu, par exemple, sur des cas de frère et soeur en amour. »
Les personnages de Laure (Ludivine Reding) et Toby (Antoine Desrochers) ne sont pas des cas isolés. « Il y a des cas extrêmes dans la vie dont on ne se doute pas! Il m’est arrivé à plusieurs reprises pour des séries de Richard d’avoir à collaborer avec les milieux judiciaire et médical, poursuit-elle. Parfois, c’est pour des questions simples, comme le moment où un personnage peut toucher le chèque d’assurance vie d’une victime après une enquête. Souvent, il y a des termes très précis qui doivent être respectés. J’enregistre toutes mes conversations pour tout saisir et lorsque la scène est écrite, je la fais valider par le spécialiste. »
Christine aime faire témoigner ses collaborateurs pour donner le plus de ressources possible à l’auteur. « J’essaie d’éveiller le scénariste en eux. Je les amène à réfléchir à des histoires étranges, à des cas passés pour trouver des twists. Ce que je livre à Richard, c’est ce qui se passe dans la vraie vie. Après, il crée la fiction. »
ÊTRE ACTUEL
Les deux séries ont en commun leur saveur policière et leurs trames élaborées autour de sujets très actuels. Les deux femmes doivent donc éplucher les nouvelles pour être dans le coup.
Dans la série Cerebrum, par exemple, la victime menait une croisade contre une entreprise pharmaceutique dont la clientèle pouvait être très jeune. « Tout ce qui entoure le scandale lié à la chirurgie a été fascinant à fouiller, révèle Christine Chevarie-Lessard. Beaucoup de gens interviennent dans le domaine des injections sans être médecins. C’est à la fois tabou et délicat. Pour le personnage de Mark, de la compagnie pharmaceutique, il fallait trouver quel genre de produit il fabrique et comment il s’y prend pour charmer les médecins afin qu’ils achètent son produit. J’ai eu toutes sortes de témoignages. Des histoires de vacances en yacht et de montre en or. Je pense que les gens se confient plus facilement quand ils savent que c’est pour de la fiction. »
« Quand on aborde une problématique dans L’Échappée, nous avons un dialogue avec le public. On ne veut pas juste raconter une histoire, mais nous avons la mission sociale de la raconter avec justesse. Par exemple, la Commission Laurent s’inscrit dans notre mouvance. La question du manque de familles d’accueil, on a décidé de l’aborder cette saison. C’est d’actualité », conclut Marie-Josée Ouellet. √ L’Échappée, lundi 20 h à TVA √ Cerebrum, mercredi 21 h sur Ici Radio-Canada Télé