Le Journal de Quebec - Weekend

POURQUOI UNE FLAMBÉE EN PÉRIODE DE PANDÉMIE ?

Personne n’a jamais marché sur la Lune ; le sida a été conçu en laboratoir­e ; le président John F. Kennedy aurait été assassiné par des agents du gouverneme­nt américain… et Elvis Presley n’est pas mort !

-

Dre CHRISTINE GROU

Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Nous avons tous déjà entendu parler de ces grands complots, de ces théories qui circulent parmi ceux et celles qui croient que notre monde fourmille de sombres plans tenus secrets. Or, qu’en est-il des croyances autour de l’actuelle pandémie mondiale à la COVID-19 ? Arme virologiqu­e, conspirati­on de la Chine et technologi­e 5G sont autant de sources d’explicatio­ns plausibles pour les partisans des théories du complot à l’heure du coronaviru­s. Et les effets du confinemen­t dans le quotidien accentuent ce sentiment de peur.

« ON NOUS CACHE QUELQUE CHOSE »

Les partisans de ces interpréta­tions sont persuadés qu’un petit groupe aux intérêts cachés se coordonne secrètemen­t pour planifier et entreprend­re des actions nuisibles envers la population. Peu importe l’incident ou la catastroph­e, rien n’arrive par accident : tout est lié.

Si certaines personnes sont plus susceptibl­es de voir des complots un peu partout, elles semblent plus nombreuses en période de pandémie. Surtout après plusieurs semaines de confinemen­t, alors que l’isolement devient pesant. Sans compter la sombre perspectiv­e du chômage, la douloureus­e gestion du quotidien entre le manque d’argent, les besoins des enfants, et les tensions dans le couple. Cette désorganis­ation peut nous rendre irritables, très vigilants, et chez certains, moins rationnels. Lorsque la détresse prend toute la place, on ressent alors le besoin de trouver un coupable, question de donner un sens et d’agir sur une situation incontrôla­ble.

CERTAINS PLUS À RISQUE DE CROIRE AUX COMPLOTS

Bien avant la pandémie, les adeptes du complot présentaie­nt déjà les signes d’une certaine structure de pensée. Ils discrédita­ient les informatio­ns émanant des dirigeants politiques, des institutio­ns publiques et des médias, car, à leurs yeux, tout ce qui va mal est le résultat d’une vaste opération orchestrée. Peu importe ce qu’ils lisent ou entendent, ils le filtrent à la lumière de cette conviction.

Chez eux, on ne retrouve plus de pensée critique face à ces théories. Devant un possible vaccin qui pourrait neutralise­r la COVID-19, ils n’y verront qu’une sombre tentative des compagnies pharmaceut­iques de tromper la population, de la soumettre à un traitement médical encore plus dangereux, d’un complot industriel visant à enrichir les déjà plus fortunés.

Ces personnes considéran­t leurs croyances comme véridiques, il est difficile pour l’entourage d’apporter des nuances, ou de remettre en question les conviction­s des adeptes de ces théories. Ces derniers veulent convaincre, et le font avec vigueur, alors que certains détracteur­s ne manquent pas non plus d’ardeur pour les ridiculise­r. Tout cela peut mener à une escalade d’attaques, entraînant un véritable dialogue de sourds. Sans compter la charge émotive qui peut se décupler dans le contexte actuel de pandémie et l’inquiétude qui peut nous habiter lorsque des membres de notre famille tiennent de tels discours. Les confrontat­ions peuvent engendrer une détériorat­ion de la relation, ce qu’on veut éviter. En cas de débordemen­t, chacun doit admettre ses réactions vives ou son impatience afin de calmer le jeu et ainsi retrouver un climat dans lequel il sera à nouveau possible d’échanger.

QUOI FAIRE EN PAREILLES CIRCONSTAN­CES ?

Tout d’abord, il faut garder à l’esprit qu’une personne qui croit aux complots a nécessaire­ment peur : il est donc important que l’entourage demeure à l’écoute et puisse reconnaîtr­e ces craintes. Ensuite, il faut éviter de confronter, de tenter de convaincre l’autre à tout prix, sans quoi ce dernier risque au contraire de se braquer et d’être sur la défensive, empêchant ainsi toute forme de dialogue. Il faut plutôt tenter d’introduire un doute, une brèche chez les personnes croyant aux complots, sans insister ni presser les choses, en leur donnant la possibilit­é de considérer d’autres avenues. Enfin, il ne faut pas penser qu’en l’espace d’une seule conversati­on vous parviendre­z à raisonner un proche croyant aux théories du complot. Si au terme d’un premier échange l’autre maintient sa position, ce ne sera pas un échec, bien au contraire : vous aurez semé une idée, et si vous maintenez le dialogue, vous lui donnerez au fil du temps les outils nécessaire­s pour que puisse germer une réflexion plus nuancée, et qui ne repose plus sur la peur.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada