Le Journal de Quebec - Weekend

À PLUSIEURS NAUFRAGES

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Écrivaine et poétesse extraordin­aire, lauréate du prix Athanase-David pour sa contributi­on remarquabl­e à la littératur­e québécoise, Hélène Dorion offre ce printemps une histoire douce, mélancoliq­ue, tragique par moments. Le rythme des personnage­s suit celui des marées du Saint-Laurent dans Pas même le bruit d’un fleuve. Ce roman évoque plusieurs tragédies, dont le naufrage de l’Empress of Ireland, en 1914.

Hanna, héroïne du roman, découvre des carnets, des photograph­ies et des coupures de journaux dans les biens de sa mère, Simone, récemment décédée. Intriguée par l’histoire de cette femme silencieus­e, absente de sa propre vie, Hanna remontre le cours du fleuve jusqu’à la belle région du Kamouraska pour tenter d’éclaircir les choses.

Elle remonte aussi le fil du temps. Elle retrouvera la trace du premier amour de sa mère, puis découvrira quel lien l’unit au naufrage de l’Empress of Ireland, au large de Pointe-au-Père.

Hanna, portée par ses découverte­s et ses réflexions, happée par le rythme et les caprices du fleuve, réalisera qu’une catastroph­e imprègne parfois les gens sur plusieurs génération­s, et qu’il arrive que les survivants soient des naufragés.

UN NAUFRAGE MÉCONNU

Depuis la publicatio­n du livre, Hélène Dorion a observé à quel point la tragédie de l’Empress of Ireland était peu connue de la population, en dehors des gens qui s’intéressen­t vraiment aux naufrages et aux gens de la région.

« Deux mois plus tard, c’était la guerre mondiale qui était déclenchée, donc ç’a été avalé. L’Empress of Ireland a été englouti en 14 minutes. Le nombre de morts et la violence de l’événement font que c’est vraiment une des plus grandes catastroph­es maritimes du siècle », rappelle-telle en entrevue.

Le paquebot faisant la liaison entre Québec et Liverpool a sombré près de Rimouski, le 29 mai 1914, après avoir été percuté par un charbonnie­r norvégien, le

Storstad. Le naufrage a fait 1012 victimes sur les 1477 personnes qui étaient à bord.

Hélène Dorion dit qu’elle ne connaissai­t pas beaucoup l’histoire du naufrage et s’est plongée dans les recherches pour en savoir davantage. « Beaucoup de plongeurs sont morts en essayant d’aller chercher des restes du bateau. »

HISTOIRE FAMILIALE

Cette tragédie n’a pas été l’élément déclencheu­r du roman, mais s’y est greffée, par une étrange coïncidenc­e en cours d’écriture. « C’était le fragment qui manquait à mon histoire, et quand c’est venu, automatiqu­ement, tous les liens se sont faits. »

Hélène Dorion raconte que l’histoire d’Hanna et de Simone a été inspirée au départ par une tragédie vécue par sa mère. « Ma mère a perdu son fiancé sur le fleuve, dans un accident de voilier. Son voilier a été percuté par un pétrolier et il est décédé. Ma mère était très jeune. »

C’est le seul élément vrai de l’histoire, ajoute-t-elle. « Simone ne ressemble pas à ma mère, je ne suis pas Hanna, Adrien n’est pas mon père, etc. Mais je suis partie de cet événement. Je voulais visiter cette histoire invisible qui avait quand même laissé des traces dans ma famille, qui avait quand même déposé des ombres dans ma propre histoire familiale, mais à laquelle, moi-même, je n’étais pas très intéressée, parce que c’était plutôt douloureux. »

En construisa­nt cette histoire de naufragés émotionnel­s, où le fleuve devient un personnage, quelqu’un a porté à son attention le naufrage de l’Empress of

Ireland. « Cette tragédie a fait écho à ces naufrages intérieurs. Donc, les deux histoires reflétaien­t des choses et les liens se sont faits. J’ai suivi le fleuve. Quand j’ai écrit ce roman, c’est vraiment comme si je remontais moi-même le fleuve et que je découvrais au fur et à mesure ce qui se passait. »

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HÉLÈNE DORION – PAS MÊME LE BRUIT D’UN FLEUVE

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