Le Journal de Quebec - Weekend
UNE ANNÉE À LIRE DES ÉCRITS FÉMININS
Pendant un an, l’écrivain et traducteur québécois Daniel Grenier a relevé un défi proposé par son éditrice, Mélanie Vincelette : ne lire que des livres écrits par des femmes. Il partage le fruit de cette expérience très enrichissante dans un journal de lecture fascinant, Les Constellées.
« J’ai commencé par lui proposer des livres très féminins que j’étais certaine qu’il allait détester : la bédéiste suédoise Liv Strömquist, Suzanne Myre, qui fait figure de “femme difficile” en littérature québécoise, et Valerie Solanas, qui a tiré sur Andy Warhol. En résulte ce délicieux journal de lecture », écrit Mélanie Vincelette dans un petit mémo.
Daniel Grenier, bon joueur, n’a pas hésité une minute à relever le défi et s’est lancé dans la lecture. Il partage dans Les Constellées une réflexion sur sa position d’homme blanc privilégié, sur la fiction versus l’autofiction. Il parle de la résurgence des voix autochtones, de la place du corps des femmes dans la littérature.
Daniel Grenier dit qu’il avait déjà une pratique paritaire. « Je faisais un effort depuis quelques années de lire consciemment autant de femmes que d’hommes. Pour un littéraire comme moi, qui lit beaucoup, c’est normal de choisir un peu en avance tous les livres qu’on va lire. Il s’agissait de monter une bonne liste de lectures plus précise que d’habitude. Mais il n’y a pas eu de torture ! » assure-t-il avec humour.
TRANSCENDER LES CONTRAINTES
A-t-il vu une différence entre les auteurs masculins et féminins? « On se rend compte, en lisant beaucoup de femmes, que c’est une différence de contraintes, dans l’écriture. C’est la façon dont les femmes ont été empêchées d’écrire et de prendre la parole, empêchées d’aborder certains sujets, qui fait que les sujets plus “féminins” ont l’air d’avoir été plus abordés par les femmes, comme l’intimité, le foyer, la maison, la domesticité. »
Il poursuit. « Ces sujets étaient supposément considérés comme des sujets féminins, alors que dans le fond, ce sont des contraintes d’écriture que les femmes ont eues pendant des centaines d’années. »
C’était carrément dans les contrats d’édition, précise-t-il. « C’est intéressant de voir comment les grandes écrivaines réussissent à contourner, de façon subtile, les contraintes éditoriales et les obligations contractuelles pour faire des oeuvres qui sont universelles et intéressantes, au-delà de ce qu’elles étaient supposées livrer comme marchandise. » Il donne comme exemple Les quatre
filles du docteur March de Louisa May Alcott. « C’est un très grand roman sur la famille, sur la guerre, sur plein de sujets universels, mais en 1850, elle avait un contrat d’édition qui spécifiait très clairement qu’elle était supposée faire un livre pour l’éducation des jeunes filles. C’est intéressant de voir comment elle se dépatouille avec tout ça pour transcender cette contrainte. »