Le Journal de Quebec - Weekend
AU COEUR DU FANATISME
Marqués par les attentats terroristes qui ont frappé la France et la Belgique en 2015 et en 2016, les cinéastes belges Jean-Pierre et Luc Dardenne se sont penchés sur la délicate question du fanatisme religieux dans leur nouveau film, Le jeune Ahmed, un drame social qui suit le cheminement d’un adolescent musulman qui bascule dans le radicalisme islamiste.
Le jeune Ahmed, qui a remporté le prix de la mise en scène au Festival de Cannes l’an passé, n’est pas le premier film à s’intéresser au sujet brûlant du radicalisme islamiste. Mais la particularité de ce nouveau long métrage des frères Dardenne ( L’Enfant, Rosetta), c’est qu’il aborde le problème sous un angle inédit, en mettant en scène un personnage à peine sorti de l’enfance.
« Ce qui nous intéressait dans ce sujet, c’était de raconter l’histoire d’un personnage et de voir s’il était capable de sortir de son fanatisme », indique JeanPierre Dardenne lors d’un entretien téléphonique accordé au Journal cette semaine.
« Au début, on avait en tête un personnage plus âgé, 17 ou 18 ans, mais le problème, c’est qu’on n’arrivait pas à le faire sortir de son fanatisme. C’était trop romanesque et ça ne correspondait pas à la réalité qu’on voyait autour de nous. On a donc eu l’idée d’essayer avec un personnage plus jeune. C’est de là qu’est né le jeune Ahmed, qui a 13 ans. On s’est dit qu’à cet âge-là, ça serait encore possible de le faire sortir de son fanatisme. » Le jeune Ahmed suit donc le destin d’Ahmed (Idir Ben Addi), un jeune garçon arabo-belge de 13 ans qui a grandi dans une famille musulmane ouverte et tolérante, mais qui a bifurqué vers le radicalisme islamiste en côtoyant un imam intégriste. Après avoir tenté maladroitement de tuer son enseignante que son imam a qualifiée de femme impure, Ahmed sera placé dans un centre pour jeunes radicalisés.
Le sujet étant délicat, particulièrement en Belgique où plusieurs villes ont été touchées par le phénomène islamiste, les frères Dardenne ont fait beaucoup de recherche et ont rencontré plusieurs intervenants pour s’assurer que leur scénario était fidèle à la réalité: « On le fait pratiquement pour chaque film, mais dans ce cas-ci, on a dû le faire davantage, souligne Jean-Pierre Dardenne. L’écriture de ce scénario nous a d’ailleurs pris plus de temps et s’est avérée plus difficile que d’habitude pour nous. »
INNOCENCE
Jean-Pierre et Luc Dardenne ont rencontré plus d’une centaine de comédiens pour trouver l’interprète du personnage d’Ahmed. Comme ils l’ont souvent fait dans leurs oeuvres précédentes, les deux cinéastes, qui ont déjà remporté la Palme d’or de Cannes à deux reprises dans le passé, ont finalement confié le rôle principal du film à un jeune acteur qui n’avait encore jamais joué à l’écran.
« Ce qui nous a tout de suite séduits chez Idir Ben Addi, c’est l’innocence de son visage, explique Jean-Pierre Dardenne. Il ne porte pas la violence sur lui. On voulait filmer un personnage qui est encore un enfant, mais qui commet des gestes qui n’ont rien à voir avec l’enfance. Un enfant est normalement tourné vers la vie. Pas vers la mort. » Après avoir lancé Le
jeune Ahmed au Festival de Cannes il y a un an, les frères Dardenne ont présenté le film dans plusieurs projections publiques en Belgique. Mis à part quelques discussions enflammées avec quelques spectateurs plus sensibles au sujet, ils ont été heureux de constater que le film avait touché la cible.
« Je crois que les gens ont vu le film à travers les yeux du personnage de la mère d’Ahmed, et c’est un peu aussi de cette façon qu’on avait écrit le scénario », observe Luc Dardenne.
« On voulait se mettre dans la peau d’une personne qui constate que ce garçon nous échappe et ne reviendra pas vers nous. Lors des projections du film qu’on a fait avec du public, on a eu beaucoup de témoignages de parents qui nous disaient qu’ils avaient l’impression que leurs enfants leur échappaient quand ils tombaient dans la religion de manière aussi fanatique. C’est la raison pour laquelle on a voulu que dans le film, le personnage d’Ahmed soit fermé, prisonnier en quelque sorte du discours fanatique que lui a donné l’imam. »