Le Journal de Quebec - Weekend
LE TOUR DU MONDE EN 50 RÉCITS
Alors que la date de réouverture des frontières demeure incertaine, voyager par procuration est sans doute le meilleur baume à appliquer pour tous ceux qui ont des fourmis dans le passeport. Le recueil du journaliste et globe-trotter Gary Lawrence tombe à point. Les écrits de ses pérégrinations aux quatre coins de la planète constituent un remède de cheval aux blues du confinement.
Ironie du sort, Fragments d’ailleurs paraît à un moment où son auteur, dont le métier consiste à partir en mission dans des contrées lointaines pour le compte de médias comme Le Devoir ou
L’actualité, se sent comme un lion en cage après trois mois de confinement, COVID-19 oblige. « Ça commence à être dur. Il est encore difficile de faire des plans. À défaut de voyager, on peut toujours rêver », confie celui qui, en ce moment, devrait se trouver quelque part dans les steppes de l’Ouzbékistan, en Asie centrale.
Chose certaine, l’homme, qui compte une centaine de pays et de territoires à son actif, sait faire rêver. Dans ce tour du monde en 50 écrits, Gary Lawrence nous transporte de la brousse de Madagascar aux nuits envoûtantes de La Havane en passant par les bidonvilles de Dakar et les eaux du Gange avec une réelle maîtrise du récit.
Sous la plume de ce conteur, la moindre anecdote de voyage devient un aller simple vers l’aventure. On vit avec lui l’angoisse provoquée par un accident de bateau au coeur de l’Amazonie ou encore le trac à l’idée de manger un plat de crocodile aux termites au Cameroun. « Le récit de voyage est la forme d’écriture qui se rapproche le plus de la littérature et c’est sans doute pourquoi j’aime autant ce métier. Je ne veux pas me limiter à une simple description de brochure touristique. Il me faut raconter une histoire en donnant des repères sociaux et historiques pour expliquer pourquoi les gens vivent d’une façon différente de la nôtre. »
Cela étant dit, ses écrits évitent le piège de la complaisance : il démasque au besoin les attrape-touristes, nomme les injustices et dénonce la bêtise humaine sous toutes ses formes, comme la fois où une touriste s’est taillée sous ses yeux et à grands coups de talons un morceau de mosaïque de la cité antique de Carthage en Tunisie en guise de souvenir. « En tant que journaliste, il faut donner l’heure juste sinon le lecteur se sentirait floué. Si une situation mérite d’être dénoncée, on doit le faire. »
TÉMOIN DE SON ÉPOQUE
Plus qu’une simple invitation à l’évasion, les récits de Gary Lawrence témoignent par ailleurs des profondes mutations qui transforment l’industrie touristique, à commencer sa démocratisation effrénée. À ses débuts en tant que journaliste en 1994, la planète comptait environ 500 millions de touristes. Ils étaient plus de 1,4 milliard avant le début de la pandémie, engendrant dans certaines villes comme Venise, Barcelone ou Dubrovnik les effets pervers que l’on peut imaginer.
« Nous avons assisté à l’avènement du surtourisme dans des destinations assiégées d’autocars et de bateaux de croisière et vidés de ses habitants. En raison de la pandémie, il y aura des groupes plus petits qui voudront visiter des lieux moins bondés. Peut-être prendront-ils goût à voyager différemment », espère-t-il.
Surtourisme ou pas, Gary Lawrence assure n’avoir perdu en rien sa capacité à s’émerveiller lorsqu’il s’envole vers une nouvelle destination. « Pour moi, faire un beau voyage se résume en peu de choses : il s’agit de partir sans préjugés à la rencontre de gens passionnés qui sont prêts à vous faire découvrir leur pays. »