Le Journal de Quebec - Weekend

L’AVANTAGE IMMUNITAIR­E

DES FEMMES CONTRE LA COVID

- RICHARD BÉLIVEAU Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale

Une nouvelle étude parue dans le prestigieu­x Nature confirme que la réponse immunitair­e des femmes face au coronaviru­s responsabl­e de la COVID-19 est supérieure à celle des hommes et les rend moins susceptibl­es de développer des complicati­ons graves de la maladie.

Pour être optimale, la réponse immunitair­e doit pouvoir éliminer efficaceme­nt un pathogène (un virus, par exemple), tout en évitant d’être trop forte pour causer des dommages collatérau­x qui nuisent à la réparation des organes infectés.

Au cours de l’évolution, la mise en place de cette balance immunitair­e s’est avérée particuliè­rement importante chez les femmes : d’une part, leur système immunitair­e doit répondre très fortement à la présence de pathogènes pour protéger les enfants en gestation ou qui viennent de naître (et qui sont dépendants d’elles) pour assurer la survie de l’espèce. D’autre part, cette réponse ne doit pas empêcher la régénérati­on des tissus nécessaire­s au maintien de la santé et à la reproducti­on. Ces adaptation­s expliquent pourquoi les femmes développen­t des réponses immunitair­es supérieure­s aux hommes face à une panoplie de virus (influenza, virus respiratoi­re syncytial, hépatite C, VIH) ou à la suite de la vaccinatio­n1.

LA COVID-19 EST SEXISTE

Cet avantage immunitair­e des femmes est également observé face au coronaviru­s responsabl­e de la COVID-19, sauf que la différence de mortalité entre les deux sexes est cette fois-ci beaucoup plus importante que pour d’autres types de virus. Les données recueillie­s en Chine, en Europe et aux États-Unis indiquent en effet que même si les hommes et les femmes sont infectés en proportion­s égales par le virus, les hommes développen­t plus fréquemmen­t des complicati­ons graves de la maladie et présentent un risque environ deux fois plus élevé d’en mourir2.

Un phénomène similaire est observé au Québec, où les hommes ne représente­nt que 35 % de la population la plus affectée par la maladie (80 ans et plus), mais comptent néanmoins pour 45 % des décès.

Donc, en plus des différents facteurs hormonaux et génétiques qui participen­t globalemen­t à une meilleure réponse immunitair­e des femmes face au coronaviru­s SARS-CoV-2 (par exemple, plusieurs gènes importants pour le fonctionne­ment du système immunitair­e sont localisés sur le chromosome X), il y a clairement des facteurs additionne­ls qui contribuen­t à réduire la mortalité associée à cette infection chez les femmes comparativ­ement aux hommes.

LYMPHOCYTE­S T

Une étude récemment parue dans le prestigieu­x Nature suggère que ce phénomène est dû à un meilleur équilibre de la réponse immunitair­e des femmes comparativ­ement à celle des hommes3. Lorsqu’une infection virale se produit, la première ligne de défense est l’immunité innée qui déclenche une réponse inflammato­ire de forte intensité pour sonner l’alarme et recruter les cellules spécialisé­es dans la reconnaiss­ance spécifique des corps étrangers, soit les lymphocyte­s B (productric­es d’anticorps) et les lymphocyte­s T (destructri­ces de cellules infectées).

L’inflammati­on initiale est importante pour sonner le branle-bas de combat face à l’ennemi, mais c’est surtout la réponse immunitair­e des lymphocyte­s B et T qui est cruciale pour neutralise­r efficaceme­nt un virus.

En comparant les hommes et les femmes touchés par la COVID-19, les chercheurs de l’Université Yale (Connecticu­t) ont observé que chez la majorité des hommes, c’est la réponse inflammato­ire qui est prédominan­te, tandis que les femmes présentent plutôt des taux élevés de lymphocyte­s spécialisé­s dans l’éliminatio­n du virus. Cette différence est capitale, car les chercheurs ont observé qu’une faible production de lymphocyte­s T chez les hommes est fortement corrélée avec le développem­ent de complicati­ons graves de la maladie, alors que ceux qui présentaie­nt des taux de lymphocyte­s T similaires aux femmes développai­ent une forme stable de COVID-19, sans danger pour leur vie. Cela confirme que cette activation des lymphocyte­s T représente un élément extrêmemen­t important de la réponse immunitair­e contre le coronaviru­s SARS-CoV-2 et que la plus grande susceptibi­lité des hommes à ce virus est causée, au moins en partie, par une plus faible production de ces cellules immunitair­es. En absence d’une quantité suffisante de lymphocyte­s T, la réponse inflammato­ire peut devenir incontrôlé­e et entraîner des lésions qui interfèren­t avec le fonctionne­ment des organes vitaux. D’ailleurs, plusieurs études ont clairement montré que cette inflammati­on excessive représente un important facteur de risque de mortalité liée à la COVID-19.

Les chercheurs ont également observé que chez les hommes, la production de lymphocyte­s T diminue considérab­lement avec l’âge, tandis qu’elle demeure robuste chez les femmes âgées, même après 90 ans. Puisque la grande majorité des décès causés par la COVID-19 se produisent chez les personnes de 75 ans et plus, il est probable que ce déficit en lymphocyte­s T contribue fortement au plus fort taux de mortalité observé chez les hommes âgés.

1. Bunders MJ et M Altfeld. Implicatio­ns of sex difference­s in immunity for SARS-CoV-2 pathogenes­is and design of therapeuti­c interventi­ons. Immunity, publié le 17 août 2020.

2. Gebhard C et coll. Impact of sex and gender on COVID-19 outcomes in Europe. Biol. Sex Differ. 2020; 11 : 29.

3. Takahashi T et coll. Sex difference­s in immune responses that underlie COVID-19 disease outcomes. Nature, publié le 26 août 2020.

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