Le Journal de Quebec - Weekend
L’UN DES ROMANS BONS DE LA RENTRÉE
Se basant sur des faits réels, l’écrivain français Sébastien Spitzer raconte une terrible épidémie qui a sévi il y a près de 150 ans à 2000 kilomètres d’ici.
Tout a commencé par un fou rire. Celui d’Elvis Presley sur une scène de Las Vegas alors qu’il était en train de chanter Are you Lonesome Tonight. « L’an dernier, j’ai entendu cet extrait à la radio et j’ai voulu savoir pourquoi, en août 1969, le King avait éclaté de rire comme ça, raconte Sébastien Spitzer, qu’on a pu joindre chez lui à Paris. J’ai donc lu une biographie de 2000 pages qui lui était consacrée et dans cette bio, j’ai découvert que Memphis avait longtemps porté les traces d’une épidémie qui avait coûté la vie à 5000 de ses habitants et complètement ruiné son économie. Au point que Memphis a failli perdre son statut de ville. »
Pour quelqu’un qui a été journaliste pendant près de 25 ans, impossible d’en rester là. Sébastien Spitzer a donc décidé de découvrir ce qui s’était produit là-bas à l’été 1878 et, ce faisant, il a fini par mettre Elvis complètement de côté. « L’histoire a commencé par un fou rire, et s’est terminée en drame », ajoute-t-il joliment.
S’appuyant sur le récit riche et bien informé de Keathing, l’homme qui dirigeait réellement à l’époque le Memphis
Daily, Sébastien Spitzer nous entraînera ainsi à l’ouest du Tennessee quelques heures avant que Billy Evans, un repris de justice de passage à Memphis, ne s’écroule en plein jour au milieu de la rue. Ce sera le premier à être emporté par la fièvre jaune, un mal qu’aucun médecin ne pouvait alors soigner. « Quand j’écris, je ferme les yeux pour ressentir les mêmes choses que mes personnages, me plonger dans leur univers, souligne-t-il. J’ai donc vécu pendant des mois avec une épidémie avant de passer à une pandémie. C’est fou de se retrouver ainsi rattrapé par la réalité, de voir l’Histoire bégayer. »
UNE VILLE SE MEURT
Est-ce que Sébastien Spitzer aurait écrit ce roman s’il avait pu savoir d’avance ce qui nous pendait au bout du nez ? Eh bien oui. « Je l’aurais écrit quand même, car l’essentiel, ce n’est pas l’histoire d’épidémie, mais l’histoire d’amour, de courage, de rédemption qu’il raconte, précise-t-il. L’épidémie en a été l’élément déclencheur, mais le coeur battant du livre, ce sont les personnages, qu’ils se comportent en héros ou en lâches. » Parmi ces personnages, on va bien sûr retrouver le fameux Keathing du Memphis Daily qui, au début, se révélera franchement décevant : acquis aux idées du Ku Klux Klan, assister de temps à autre à la pendaison d’un Noir ou deux fait partie des trucs qu’il aime bien. On fera également la connaissance
d’Anne Cook, dont le bordel, Mansion House, est l’un des plus chics et des plus courus de la ville. Il faut dire que ses « filles » savent particulièrement bien s’y prendre avec les hommes. Surtout Sonia. Qu’on prend la peine de mentionner parce qu’elle ne tardera pas à mourir elle aussi de la fièvre jaune. Puis, les décès se multipliant à une vitesse folle, les habitants de Memphis devront faire un choix : rester et courir le risque d’attraper la maladie, ou prendre la poudre d’escampette.
« C’est qu’à l’époque, on ne savait pas d’où venait la fièvre jaune, comment elle se transmettait, explique Sébastien Spitzer. Personne n’avait encore réalisé qu’elle venait des moustiques et deux ans plus tard, lorsqu’un médecin cubain se lèvera pour le dire, tout le monde se moquera de lui… »
CHANGEMENTS DE CAP
Les épaisses fumées de goudron cuit ne parvenant pas vraiment à purifier l’air de Memphis, l’été 1878 sera ainsi marqué par un incroyable exode. En quelques jours, la ville se videra en effet presque entièrement.
Keathing et Anne Cook décideront cependant de rester et à partir de là, ils vont faire des choses qu’ils n’auraient jamais pensé faire. Lui en se rangeant aux côtés d’un ancien esclave noir, elle en transformant son bordel en hôpital de fortune.
« L’épidémie a agi sur eux comme une sorte de catharsis, indique Sébastien Spitzer. Pendant ce moment critique, leur regard sur le monde a complètement changé et c’est pourquoi cette histoire m’a autant touché. Elle est d’une exemplarité, d’une universalité qui me semble stupéfiante. »
Oh, une toute dernière chose avant de terminer.
Elvis Presley aurait éclaté de rire sur scène parce que, dans la salle, un spectateur se serait mis à agiter sa moumoute dans les airs.