Le Journal de Quebec - Weekend

L’ANNÉE WIDEMIR NORMIL

- SABIN DESMEULES

Il se dit coureur de fond. Depuis quatre décennies, on le voit dans des seconds rôles. Et voilà qu’enfin il est présent plus que jamais à l’écran : il est le Fardoche de la nouvelle mouture de Passe-Partout et le commandant Célestin de la toute nouvelle comédie policière Escouade 99. C’est l’année Widemir Normil… « En 38 ans de carrière, j’ai été nommé une seule fois aux Gémeaux », déclare Widemir Normil. Mais ça pourrait se multiplier très bientôt !

Le comédien tient l’un des rôles principaux de la comédie Escouade 99, qu’on peut voir présenteme­nt sur Club illico. Il y interprète le commandant Raymond Célestin, un homme sérieux, autoritair­e et homosexuel.

« Pour tous les mésadaptés avec qui il travaille au poste de police, c’est un père ; le père qu’ils n’ont jamais eu, explique Widemir. Il s’est mis beaucoup de pression parce qu’il est noir et gai. Et ça, en tant qu’homme noir, je peux le comprendre. »

Escouade 99 est l’adaptation québécoise de Brooklyn Nine-Nine. Le fait que deux Québécoise­s, Mylène Mackay et Bianca Gervais, tiennent des rôles qui, dans la version originale, sont joués par des Latinas, a soulevé un tollé sur la Toile.

« On s’est réappropri­é le projet. Et des gens l’avaient déjà jugé avant même qu’il arrive à l’écran. C’est une A-DAP-TA-TION, comme on adapte du Shakespear­e ou du Molière. Cette série a été vendue partout, en Pologne, en Afrique... Chaque pays l’adapte en y ajoutant ses propres références », défend Widemir.

Il se réjouit de faire partie de l’aventure !

« C’est la première fois qu’on a deux Haïtiens en situation de pouvoir dans une série et qui, en plus, se parlent en créole. Soyons-en fiers ! »

Il salue l’audace du réalisateu­r, Patrick Huard, qui a accepté sa propositio­n des échanges créoles. « Patrick a une grande écoute. Il écoute ta propositio­n et, si tu as besoin d’aide, il est là. »

RENOUER AVEC SES ORIGINES

Widemir Normil est né en Haïti, mais il a grandi en sol québécois. « J’honorerai toute ma vie ma terre d’accueil. J’avais six ans quand je suis arrivé au Québec — il y a donc 51 ans, parce que j’en ai 57 —, dans une petite ville qui s’appelle Saint-Jean-sur-Richelieu. Vous pouvez vous imaginer qu’il y a 51 ans, des Noirs, il n’y en avait pas ! Je me faisais niaiser et brasser pas mal ! À cause de ça, j’ai arrêté de parler créole, même si mes parents nous ont toujours parlé créole, à mon frère, qui est le plus vieux, à ma soeur, la deuxième, et à moi, le bébé. J’ai perdu mon créole, mais je l’ai toujours compris. »

Ses premières années à Montréal, il les a vécues pas mal en anglais, vu qu’il étudiait à l’Université McGill. Puis, quand il a débuté dans le métier, il a rencontré d’autres Haïtiens, notamment Didier Lucien et Angelo Cadet.

« Là, je me suis mis à réintégrer ma langue et mes origines, à me les réappropri­er, et j’ai recommencé, de façon timide, à parler créole. »

INJUSTICE RACIALE

Widemir a deux enfants : Gemma, 25 ans, et Élie, 15 ans. Quand il y a eu des tensions raciales, il y a quelques mois aux États-Unis, et qu’est né le mouvement Black Lives Matter, la famille a été très affectée. « Ma grande fille de 25 ans a braillé sa vie quand c’est arrivé, admet Widemir. Au quotidien, je vis des affaires que les gens ne savent pas. Quand je me lève le matin, je suis un Noir. Quand je me couche le soir, je suis un Noir. Il y a une réalité différente. Je pourrais raconter des histoires sur toutes les fois où je me suis fait arrêter par la police ! »

La question de l’injustice raciale, Widemir l’aborde franchemen­t avec ses enfants.

« J’ai dû préparer ma fille, et il faut que je prépare aussi mon garçon à la réalité dans laquelle ils sont. Mon gars a beau être un beau garçon, et être bon à l’école et dans les sports, il se peut qu’il se fasse intimider par d’autres et arrêter par la police plus souvent qu’un garçon blanc. J’ai dit à mon fils : “C’est ta réalité. Et quand tu vas te faire arrêter, tu vas dire : ‘Oui, Monsieur l’agent’ et donner tes papiers pour ne pas avoir de problèmes.” »

LE NOUVEAU FARDOCHE

Depuis deux ans, il est Fardoche dans la nouvelle mouture de Passe-Partout. Le fait que ce soit un acteur noir qui incarne l’ami de Passe-Partout, Passe-Carreau et Passe-Montagne a suscité des réactions sur la Toile... « Heureuseme­nt, je ne suis sur aucun réseau social — ça ne m’intéresse pas. J’aime mieux m’occuper de ma famille ! Mais selon ce que mes amis m’ont dit, des gens ont écrit des choses négatives quand j’ai été choisi pour jouer Fardoche. »

Cependant, d’autres ont pris sa défense. « J’ai reçu une quinzaine de lettres, majoritair­ement d’hommes, qui s’excusaient du comporteme­nt de certains. Ils me disaient : “Monsieur Normil, je sais que vous êtes un père de famille, une bonne personne, et j’espère que vous ne lisez pas ces affaires-là !” Je trouve magnifique que des gens prennent le temps de m’écrire ça ! »

On peut voir Widemir Normil dans Escouade 99 sur Club illico, et dans Passe-Partout, à Télé-Québec, du lundi au jeudi à 18 h.

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