Le Journal de Quebec - Weekend
« QUAND J’ÉCRIS, C’EST TOUJOURS UNE TENTATIVE DE CONTACT »
« J’essaie que cette excavation que je fais, quand je vais fouiller dans mes propres insécurités et mes propres obsessions, ait un écho pour quelqu’un d’autre », explique Fanny Britt. Son attendu second roman Faire les sucres s’appuie assurément sur l’une de ses obsessions avouées : l’idée que tout peut basculer — vers le rêve comme vers le tragique — en l’espace d’un instant. Écrivaine, dramaturge, scénariste et traductrice, Fanny Britt dit aimer écrire depuis qu’elle a appris le faire. Ses petites histoires rédigées à la dactylo qu’elle avait demandée pour le Noël de ses 9 ans lui ont rapidement permis de trouver une évasion désirée dans l’écriture.
« J’ai pensé rapidement que je trouverais une façon d’écrire pour gagner ma vie, dit celle qui avoue avoir hérité du côté pragmatique de sa mère. J’ai pensé devenir journaliste, mais lorsque j’ai entendu parler de l’école nationale, j’ai voulu essayer. L’audition pour y entrer était d’écrire une courte pièce de théâtre. »
Il y a eu, ensuite, « l’incroyable rencontre » avec l’illustratrice Isabelle Arsenault avec qui elle a créé le roman graphique Jane, le renard et moi. Un projet déterminant ayant donné la piqûre d’écrire des livres à l’autrice montréalaise née à Amos, en Abitibi.
Une quinzaine de pièces de théâtre, deux romans graphiques, deux essais féministes et le roman Les maisons plus tard, l’écrivaine de 43 ans a trouvé le filon de ce qui allait faire naître ce deuxième roman fort attendu. Un roman « au regard impitoyable, mais précis, à la fois tourmenté et investi » aux personnages portant des angoisses reflétant ses propres dilemmes intérieurs.
FAIRE LES SUCRES
Tout a commencé par de vraies vacances à la mer, à l’été 2016. Alors que son amoureux faisait du mini surf, l’écrivaine s’est mise à imaginer ce qui arriverait si un touriste québécois fonçait dans une Américaine. Elle tenait là, dit-elle, le début d’un roman.
« Le point de départ pour les personnages a été de me demander : qu’est-ce qui arrive quand on se met à ne plus jouer notre rôle social ? Car c’est quelque chose qui m’a toujours passionnée, cet écart entre ce qu’on voudrait être et ce qu’on montre au monde. » Faire ses sucres offre le point de vue d’Adam (chef vedette) et de Marion (dentiste pleine de sollicitude) au fil de chapitres alternant leurs discours intérieurs. Le tout entrecoupé par l’histoire de Celia, troisième personnage aux allures de grondement sous-terrain de cette histoire débutant sur une plage de Martha’s Vineyard.
« Adam a un bête accident de surf et fonce sur Celia, une jeune Américaine qui sera gravement blessée au genou. Il ne se blesse pas, mais cela va ouvrir une brèche chez lui qui va l’entraîner dans une spirale dépressive et anxieuse et le mener à une succession de choix un peu tordus. De son côté, sa blonde va se surprendre à ne pas jouer le rôle qu’on attend d’elle dans cette crise. »
Le personnage de Celia, jeune femme de 19 ans ayant de la difficulté à payer ses soins à l’hôpital, se veut un hommage à une génération que l’autrice décrit comme « très consciente et très angoissée collectivement sur ce qui s’en vient, notamment pour la planète. »
Le titre Faire les sucres renvoie quant à lui à la décision d’Adam d’acheter l’érablière d’une famille dont il jalouse l’authenticité. De Celia qui toute jeune regardait son grand-père faire de la tire, des codes de l’identité québécoise « souvent folkloriques et romantiques » et… de la véritable dépendance au sucre de Fanny Britt.
Faire les sucres met en scène des gens privilégiés que le parcours soudainement troublé fera d’abord s’éloigner puis, ultimement, se révéler plus intimement l’un à l’autre. Le tout, à coups de grandes envolées et de phrases magnifiquement longues à la Fanny Britt, troublante et juste résonnance de nos discours intérieurs.